éléphans d’Afrique, on ne devroit pas s’attendre à en trouver aujourd’hui
d’aussi grands dans cette partie du monde. Il y en existe cependant
qui ne le cèdent point pour la taille aux éléphans des Indes,
et, sans s’en rapporter à Pigafetta qui parle d’éléphans de dix-huit
pieds, Bosman (1) donne aux éléphans de Guinée de dix à treize
pieds de haut, et dit avoir vu des défenses dont la paire pesoit deux
cent cinquante livres, et M. Lichtenstein (2) rapporte qu’un colon
hollandois de sa connoissance avoit tué un éléphant de quatorze
pieds dont les défenses pesoient cent cinquante livres, etassuroit,
ainsi que plusieurs de ses compatriotes, qu’on en voit quelquefois
de dix-huit pieds, ce qui doit s’entendre sans doute de pieds du Rhin.
Ainsi l’on ne peut expliquer ce que les anciens ont dit à ce sujet,
qu’en supposant que les éléphans, que les rois d’Egypte ou les Carthaginois
ont possédés dans leurs armées, n’arrivoient pas à la taille
que ces animaux atteignent à l’état sauvage dans les contrées de l’Afrique
où ils trouvent une nourriture abondante.
8°. D es pays habités par chacune des deux espèces d!éléphans
vivons-
Pour terminer cette histoire et cette description comparative des
éléphans vivans, il seroit necessaire de fixer avec précision les limites
des pays qui leur sont assignés par la nature.
L ’espèce que nous avons appelée des Indes habite en effet dans
toute l’Inde en-deçà du Gange, car c’est de ce pays-là ou de Ceylan
que sont venus les nombreux individus dont nous avons observe les
crânes; il n’y a pas de raison de douter que ce ne soit elle aussi qui
se trouve dans l’Inde ultérieure et qui peuple les forêts de Siam, de
l’empire des Birmans et de la Cochinchine.
L ’espèce que nous avons appelée d’A friq u e se trouve au Sénégal,
d’où venoit le squelette fait pour Louis X IV et que nous possédons
(i) Voyage de Guinée, p. 244- !
,(2) Voyage de VAfr. mérid., I , 349«
encore, et au cap de Bonne-Espérance, d’où est arrivé le crâne isolé
qui a formé le second sujet de notre description. On a donc tout
lieu de croire que les pays intermédiaires, le long de la côte occidentale
de l’Afrique, n’en ont pas d’autre.
Mais cela est-il généralement vrai de toute cette partie du monde ?
Les éléphans de la côte orientale, le long de la mer des Indes, sont-
ils de la même espèce ? Ces éléphans que les rois d’Egypte avoient
appris à dompter et qu’ils employoient à la guerre avec tant de
succès, étoient-ils semblables à ceux qu’aucune des nations nègres
n’a pu encore rendre domestiques? Et les Carthaginois qui ont eu
tant d’éléphans, qui sont parvenus à leur faire traverser la mer,
les Alpes et les Apennins, d’oùles avoient-ils tirés et de quelle espèce
les prenoient-ils ? Voilà des questions qui restent à résoudre pour les
critiques et pour les voyageurs.
Nous savons déjà positivement par l’inscription d’Adulis (comme
je l’ai fait remarquer) que c’étoit de l’Abyssinie quff les Ptolomées
tiroient leurs éléphans, et c’est de ces éléphans même des Ptolomées
que l’on a dit qu’ils étoient plus petits, plus foibles et plus timides
que ceux des Indes. Nous avons vu aussi que selon Cosmos, voyageur
et négociant éclairé, c’étoient les mêmes éléphans d’Ethiopie que
les Ethiopiens de son temps ne savoient plus dresser, qui portoient
les plus grandes défenses et qui fournissoient le plus d’ivoire au
commerce. Ces deux indications semblent annoncer que les éléphans
de la côte orientale sont les mêmes que ceux de la côte opposée.
Ludolphe, néanmoins, dans son histoire d’Abyssinie, dit expressément
que les femelles n’y ont pas de défenses: ( Solis maribus
competuntj fceminoe ut cervee illis carent.') (i) et cette assertion
semble indiquer l’espèce deslndes; mais on trouvera peut-être qu’un
homme qui ne parloit que sur la foi d’un moine abyssin ignorant,
dont toutes les figures sont empruntées d’autres auteurs, et qui va
même jusqu’à donner à l’Abyssinie un animal évidemment d’Amérique
(l’ouistiti), mérite peu de foi.
(1) Hist. Æth., lib. I , c. X .
T. I.