PREMIÈRE SECTION.
D e l ’ H i p p o p o t a m e v i v a n t .
A rticle premier.
Observations fa ite s sur l ’hippopotame.
L ’hippopotame a été toujours, et est encore jusqu’à un certain
point, celui de tous les grands quadrupèdes dont on a le moins connu
l’histoire et l’organisation.
Bien que l’on puisse croire avec Bochart (i) que1 c’est le behemoth
de Jo b , ce qui en est dit dans ce livre est trop vague pour le caractériser.
La description qu’Aristote donne de son hippopotame ( Hist.
anim., liv. II, chap. 7) est si éloignée de l’animal que nous con-
noissons aujourd’hui sous ce nom, qu’on ne sait comment expliquer
un tel assemblage d’erreurs. Ce grand naturaliste lui assigne, il est
vrai, l’Égypte pour patrie ; mais il lui attribue aussi la taille de
l ’â n e, la crinière et la voix du cheval, et le p ied fou rchu du boe uf
(Ii^uAop J1’ îtfji fflWsp /3Sç). I l a un astragale comme les animaux
à pied fourchu. Son museau est camus, sa bouche est médiocrement
fen due, ses dents un peu sorties, et sa queue pareille
à celle du sanglier la peau de son dos est s i épaisse qu’on en fa brique
des javelots.
On est d’autant plus étonné de cette description bizarre , qu’en
remontant aux sources, on trouve quelle est presque entièrement
empruntée d’Hérodote, écrivain généralement exact pour ce qu’il a vu
par lui-même. Il a même une erreur de plus qu’Aristote ; car il dit
qyg queuedel hippopotame est aussi semblable a celle du cheval,
mais en revanche il en a une autre de moins en donnant à cet animal la
(r) Hierozoic., part. I I , lib. V , cap. X V .
grandeur des plus grands boeufs. Herod. Euterp. ou liv. II, 71 (1).
On seroit tenté, d’après ces deux descriptions, de croire que le nom
d’hippopotame s’appliquoit alors à une autre espèce qu a présent, si
Diodore de Sicile ne nous ramenoit évidemment à celle-ci. D abord
il rend à l’hippopotame sa vraie taille ; i l a cinq coudées de long ,
dit-il, e t sa masse approche de celle de l ’éléphant. Il décrit ensuite
ses dents de devant : I l a de chaque cô té trois dents saillantes
plus grandes que les défenses du sanglier ; seulement il lui laisse
les pieds fou rch us du boe uf et la queue du cheval ( Diod. Sic. liv. I}.
Pline qui auroit pu connoître la description de Diodore, s’est
borné à copier celle d’Aristote, excepté pour la grandeur qu’il ne
détermine pas, et pour l’emploi de la peau qu’îl dit seulement propre
à fa ir e des casques e t des boucliers impénétrables tant qu’ils ne
sont point mouillés ( liv. VIH, cap. 21, sub fin. ) Il ajoute a tout cela
une erreur de plus, que l ’hippopotame est couvert de p o ils comme
le phoque (lib. IX, cap. 12).
Il auroit dû cependant pouvoir se procurer de meilleurs rensei-
gnemens, même indépendamment de l’autorité de Diodore, puisqu’il
dit lui-même qu’un hippopotame f u t montré à Rome par
Scaurus, dans son édüuté (lib. VIH, cap. 26). Et nous savons par
Dion qu 'Auguste en montra un autre lorsqu’i l triompha de Cléop
â tr e (Dion., lib. LI, p. 6 5 5 , ed. Reimari).
On vit encore beaucoup d’hippopotames après la mort de Pline.
(1) Une chose assez remarquable , et qui n’est peut-etre pas entièrement due au hasard,
c’est que si l’on transportoit dans la description d’Aristote, la queue de cheval qui est dans
celle d’Hérodote, alors la première se rapporteroit parfaitement au gnou (antilope gnu. L . ) ,
aux.cornes près que l ’on auroit oubliées.
M. Schneider (S jn . pisc. arted. , 'p. a5o) cherche à expliquer les erreurs de ces deux
grands écrivains--en supposant qu’Hérodote, ainsi que le prétend Porphyre, ap. Euseb.
proep. Ev. X , p. 466, a emprunté sa description à’Hécatée de Milet., aussi-bien que celles
An phénix et de la chasse du crooodile.
Peut-être ces erreurs tiennent-elles à ce que cette description a été prise de quelque
mauvaise figure. M. Hamilton (Ægyptiaoa, pl. X X I I , fig. 6) en. a copié une des grottes
de Benir-Hassan, où les pie.cls paroissent fourchus, et où les défenses inférieures sont si
énormes qu’on a du croire qu’elles ne pouvoieüt êtr.é couvertes par ses lèvres.