Les villages sont tous sur la hauteur pour
jouir d’un air pur, et non sur les bords du Phase
où sont les champs, tandis que les vignes sont
sur les pentes : c’est un beau tableau que cette
variété de productions et de fertilité.
Nous laissâmes à 8 verst de Baragone le village
de Sardmêli : à 2 verst plus loin nous passâmes
le Richaûli. La rive gauche du Phase est
semée de plusieurs villagesmais sur la rive
droite, on n’en trouve pas d’autre après Sardmêli
'qu’à 20 verst de Baragone, où nous atteignîmes
Kouantchegkara (î) qui appartient au prince
Léon Pépiani (2). Pour des gens qui sont bien
mouillés par la pluie, et qui sont bien étonnés
de l’être après plusieurs semaines d’un temps
magnifique, quel bonheur de se mettre à couvert
sous l’avant-toit d’une église et de voir le
kélossan s’inquiéter pour nous trouver ce qu’il
nous faut.
Kouantchegkara est sur la hauteur à 5oo pieds
environ au-dessus du Phase. Le prince qui en
est le possesseur occupait encore naguère son
château fort, perché sur les roches calcaires au-
dessus du village. Mais un général russe, dont
j’ai oublié le nom, passant par-là, trouva très-
inconvenant qu’un seigneur imérétien pût se
(1) Kwanschkschara, Güld.
(2) Kipiani, Güld.
loger comme un roi dans une forteresse , et le
prince, par condescendance pour le général qui
était gouverneur du pays et pour ne pas faire
ombrage à un empire de 70 millions habitants,
s’est construit au-dessous de son manoir une
maison en bois où il habite. Le prince possédait
encore deux autres lieux forts autour de son
château : un quatrième était sur une butte au
milieu du village ; il servait ainsi que les autres
de refuge à la famille Pépiani ; mais On l’a ruiné
entièrement, et ses murs à moitié renversés né
servent plus qu’à abriter les koupchines ou amphores
du kélossan, coseigneur d’une partie du
village. Nous passâmes la nuit chez lui. A notre
arrivée, il avait envoyé aussitôt chez le prince
l’ordre que nous avions du gouvernement. Il n’était
pas chez lui ; mais la princesse nous envoya
à l’instant son fils pour nous féliciter', et pour recommander
au kélossan d’avoir grand soin de
nous ; ce qu’il fit ; car il nous régala d’importance
et je m’endormis, malgré la pluie, fort tranquillement
le long d’un pressoir où l’on faisait
déjà du vin nouveau.
A mon réveil la vallée n’était couverte que de
brouillards; on ne voyait que les cimes des
montagnes sortir comme des îles de cette mer
sombre, du fond de laquelle on n’entendait que
le chant du coq, le cri de l’homme et le roulement
encore plus fort du Phase dans l’abîme.