regards; une forêt vierge de hêtres, de pins, de
sorbiers, de charmes, de la plus forte dimension,
conserve une humidité éternelle. Jamais le
soleil ne pénètre sous ces voûtes épaisses et profondes
de verdure. Des fougères, des reines des
prés et cent autres plantes de la plus haute taille,
se penchent couvertes d’une rosée perpétuelle
sur le voyageur Enfin je n’ai rien vu de plus
extraordinaire dans un sens, de plus exécrable
dans l’autre que ces -sept verst. Je croyais qu’en
passant le chemin de Ialta à Baktchésérai en
Crimée, j’avais fait ce qu’il y avait de plus diabolique,
en fait de chemin; mais qu’est-ce en comparaison
de celui-ci ! Si le cheval bronche ici,
l’on tombe infailliblement dans un abîme.
Les boues et les fondrières cessent quand on.
repasse sur la rive droite de la Khanitskali. Le
mauvais pas dont nous venions de nous tirer est
bien connu au long et au large en Iméreth, et
c’est une des raisons qui effraient le plus ceux
qui veulent faire par-là le trajet de Routais à
Akhaltsikhé. S’il est tel par le beau temps du
mois d’août, on peut juger, de ce qu’il doit être
par les pluies d’automne ou du printemps. Personne
ne s’y hasarde à ces époques.
Pendant les quatre ou cinq verst qui suivent,
on ne quitte presque plus les bords de la Kha-
nitskali dont le lit sert souvent de chemin ; on
la passe et repasse à chaque instant au milieu des
énormes cailloux qui l’encombrent et des arbres
centenaires renversés.
La végétation commence ici à devenir subalpine,
c ’est-à-dire celle des montagnes de la
Suisse des régions inférieures. Les hêtres diminuent,
les sapins augmentent en nombre. Des
lauriers cerises, des rhododendrons pontiques,
des houx profitent de la fraîcheur. Le framboisier
croit pêle-mêle avec l’airelle du Caucase (1)
de haute taille et des groseilliers à longues grappes
de fruits noirs, doucereux, qui teignent
comme des mûres. Notre sorbier (2) se montre
çà et là avec ses belles grappes rouges. Le chèvrefeuille
à mouches ou camérisier (3) , la
viorne (4), le fusain à larges feuilles (5), avec une
autre espèce de bonnet de prêtre, s’abritent le
long des rochers et des pentes escarpées. Une
plante a fleurs bleues que je crois un tussilage,
recouvre les bords de la rivière de ses feuilles
gigantesques qui ont de deux jusqu’à trois pieds
de diamètre. La valériane à grandes feuilles (6),
la gentiane à feuilles d’asclépias (7), un trisa—
( 0 Vaccinium arctostaphilos.
(2) Sorbus aucuparia. 1
(3) Lonicera xylosteum.
(4) Viburnum opulus.
( 5) Evonymus latifolius.
(6) Valeriana macrophylla.
(7) Gentiana asclepiadea.