veilles d’une création si peu semblable à ce
qu’on voyait dans ma patrie. Je regrettais de ne
pouvoir partager, avec mes amis, une vue qui
m’inspirait tant de reconnaissance pour une providence
qui m’avait amené jusqu’ici comme par
la main ; je n’avais eu que des moments heureux,
que des jouissances ; tout était al lé au gré de mes
souhaits ; j’avais recueilli tant de matériaux ;
j ’étais si riche d’expérience et de souvenirs.
Mais un long avenir de travaux, de privations,
de dangers même, était encore devant moi;
je pouvais succomber. Dès demain cet avenir
pouvait se fermer pour moi. Je tâtai mon coeur
et je me demandai si je m’affligerais^ si je gémirais
beaucoup de voir ainsi se clore pour moi
tout à coup un avenir honorable et l’espérance de
recueillir l’approbation que pouvaient mériter
mes efforts pour faire avancer la science. La
gloire est un sentiment si inhérent à notre nature
! Souvent nous nous sacrifions pour elle.
Mais quelle aurait été ma part si j’avais succombé
? Rien. Mes dessins , mes journaux, mes
collections, etc., tout cela se serait évanoui
avec moi. Eh bien! j’avoue que je me suis
fait maintes fois cette question et entre autres
ce jour où je tâchais d’atteindre Sazan, si je
craindrais de mourir .ainsi sans gloire après
tant de sacrifices. J’ai mis la main sur mon
coeur, et je me suis répondu que non, et ce
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'non était bien sincère. Si Dieu veut que mes
faibles travaux ne profitent pas pour mes semblables,
malgré mes bonnes intentions; s’il veut
que tout rentre avec moi dans le néant, de quoi
me plaindrai-je? Dieu ne sait-il pas ce que j ai
fait.; n’ai-je pas joui; n’ai-je pas ete aussi fortuné
qu’on peut l’être? N’ai-je pas contemple
les oeuvres de Dieu comme rarement ame humaine
peut le faire ? N’ai-je pas trouvé mille
occasions de développer autant qu il était en
mon pouvoir le grain d’intelligence qu il m avait
accordé? Ne puis-je pas être prêt pour une éternité
qui s’ouvre devant moi? Cette résolution
m’a donné le calme, le courage et la confiance
nécessaires pour achever mon voyage.
J’étais ce jour-là plus disposé à réfléchir ainsi
que je ne l’aurais ete un autre jour. Le lende—
jjjgjji j’allais entrer dans les hautes vallees du
Caucase, remonter le Phase jusque près de ses
sources et jusqu’a la frontière des Souanes,
voir le centre glace du Caucase et ses fieres populations
; pouvais-je savoir ce qui allait m’advenir
?
En attendant nous arrivâmes a Sazan ou nous
reçûmes l’hospitalité chez le mourave du lieu,
le prince Kaikhosro Abachidsé , grand et bel
homme de 4o à 5o ans, remarquable par la
noblesse de sa figure. Le lendemain devait se
célébrer dans le voisinage, a Tsikhori, bourg ai *