tant leurs faces grisâtres à travers la verdure des
pins, présentent les points de vue les plus pittoresques.
La Khànitskali ne coule plus ; elle ne
fait que tomber de cascade en cascade et écu-
mer. Enfin les roches gigantesques se resserrent
tout à fait. Ici dans ce gouffre d’où l’on voit à
peine un ruban du ciel à travers la cime des pins
et des sapins enracinés sur la crête des rochers,
plus de lit possible. Les deux principaux ruisseaux
qui forment la source de la Khanitskali
viennent se réunir en formant une cataracte perpétuelle
entre les pics noirs d’une nouvelle roche
porphyrique confusément déchirée. Je me
demandais comment je sortirais de ce gouffre.
Mais tout à coup le chemin étroit se glisse sur
l’angle d’un rocher; on grimpe par cent zigzags
tantôt dans l’eau, tantôt sur les assises des
rocs, le long de cette pente affreuse (1). On s’élève
avec une peine difficile à décrire, et à mesure
qu’on s’élève, on s’aperçoit à chaque pas
du changement de région. Une végétation alpine
(1) C’est ici que deux Français de ma connaissance, revenant
des bains d’Akmet près d’Aspindja, et voulant passer
par l’Iméreth pour retourner à Tiflis, furent saisis
vers le soir par un violent orage. Ils passèrent la nuit collés
contre le rocher pour trouver un abri; ils furent si
effrayés de l’horreur du gouffre qui se présentait devant
eux qu’ils n’osèrent y descendre ; ils retournèrent sur leurs
pas pour passer par la vallée de Bardjom.
prend le dessus. Les pins (pinus picea) deviennent
rares et disparaissent remplacés par le pin
sylvestre grotesquement chargé de longues traînées
pendantes de lichens, parmi lesquels se mêlent
des sorbiers et des bouleaux, et enfin ceux-
ci restent seuls maîtres du sol. Les bouleaux sont
beaux et rappellent tout-à-fait ceux du nord;
mais tous ont le bas du tronc recourbé en crochet
du côté de l’escarpement ; on voit que l’accumulation
des neiges a entraîné l’arbuste jeune
et faible qui s’est redressé ensuite quand il a
senti naître ses forces. A ces arbres du nord se
mêle une végétation alpine‘magnifique.
Le règne des bouleaux n’est pas long ; à peine
leur région dépasse-t-elle de trois cents pieds
celle des pins sylvestres, et bientôt on ne retrouve
plus que des cimes nues qui disparaissent
peut- etre de sept cents à mille pieds la région des
arbres. J’ai dit nues, je me trompe, car si les
arbres cessent, rien de plus riche que la ceinture
dont la nature a paré ces cimes jusque près
de leur sommet.
J’étais en extase devant ces superbes enfants
de Flore; j’étais petit à côté de ces scabieuses
de Tatarie a fleurs jaunes (1), de ces valérianes
à grandes feuilles, de ces mille feuilles alpins (2),
(1) Scabiosa tatarlca. G. mell.
(2) Achillea macrophylla. Wild.