disait-on, s’étaient très bien tirés d’affaire sans écoles; les enfants allaient apprendre à mépriser leurs parents
et leur condition; ils deviendraient orgueilleux, prendraient les habitudes des «messieurs», perdraient leurs
sentiments religieux, etc. Ces craintes vaines ont disparu peu à peu; seules un petit nombre de communes
rurales s’obstinent encore dans ces préjugés et regimbent contre les frais que leur imposerait une école;
mais on voit déjà venir le moment où elles aussi se laisseront entraîner dans le mouvement général; il
y a, en revanche, des paroisses qui comptent jusqu’à dix écoles primaires. Dans ces derniers temps, la
jeunesse universitaire a pris l’initiative de l’institution de cours supérieurs à l’usage du peuple,
L’Eglise depuis sept cents ans et l’Ecole depuis trois cents ans ont fait une guerre acharnée -aux
restes des superstitions païennes, sans réussir à les anéantir complètement. La superstition recule
devant les progrès de la civilisation et n’ose pas se montrer à visage découvert, mais elle couve'sous la
U n e x am e n d e le c t u r e .
cendre dans l’imagination du peuplé. On rencontre encore un mélange confus de souvenirs chrétiens
et païens, quelquefois seulement sous la forme de contes ou de dictons, dont on a perdu le véritable
sens. L ’ancienne croyance finnoise dans le pouvoir surnaturel du verbe subsiste encore dans l’usage
de réciter des formules magiques, avec ou sans l’aide d’un sorcier, pour guérir des maladies, des infirmités
ou des plaies, pour obtenir du bonheur en amour, une bonne récolte, la santé du bétail, la réussite
du beurre, le beau temps, la chance à la pêche, à la chasse, la découverte de trésors, etc. Dans ces
conjurations, on invoque tour à tour Dieu, Jésus-Christ, la vierge Marie et des puissances ténébreuses
d’origine équivoque. Des feux mystérieux marquent les endroits où des trésors sont enfouis. Des
visites à l’église ou au cimetière la nuit, les os -des morts, les anneaux de mariage, les livres de psaumes,
les objets d’acier, les haches de pierre trouvées dans la terre, les crânes de serpent, les araignées, les
grenouilles, tout cela sont dés moyens de communication avec les puissances mystérieuses. Pour beaucoup
de maladies,, c’est dans l’étuve à bains que se font les conjurations. Aux sorcières du 17e siècle,
qui, montées sur un manche à balai, se rendaient à «Blâkulla» la nuit de Pâques, ont succédé les diseuses,
de bonne aventure, les «femmes sages», comme on les appelle, qu’on vient consulter de très loin, ou
les magiciens qui vous font retrouver les objets volés. La médecine populaire contient, au milieu de
beaucoup de charlatanerie, quelques recettes efficaces; c’est d’elle que vient l’usage du massage, définitivement
adopté en médecine. Ces superstitions font sourire les gens éclairés et trembler les ignorants;
ce qu’on craint le plus, dans le nord de. la Finlande, c’est d’être « écrasé », c’est-à-dire d’être frappé par
un ennemi de quelque infirmité qui peut' mettre la vie. en péril, si on ne la rend inoffensive en y opposant
certains moyens magiques.
La réputation de sorcellerie croît à mesure qu’on avance vers le nord. Pour l’habitant de la Suède,
toute la Finlande en est suspecte. Dans le Nyland, on s;e défie du Tavastien. Dans le Tavastland on
craint l’Ostrobothnien, et pour les Ostrobothniens, tous les Lapons sont des sorciers redoutables. Si l’on
jette de l’acier au milieu d’un tourbillon
soulevé par l’orage, on voit apparaître une
Laponne en train de balayer le terrain.
La superstition païenne subsiste encore
dans la c-royance aux lutins. Les rochers,
les lacs, les: rivières, les sources, les habitations
même ont leurs lutins et beaucoup prétendent
les avoir vus. Il y a une soixantaine
d’années encore, on jetait de petites pièces
de monnaie dans les sources comme offrandes
aux lutins. Le sorbier est un arbre sacré;
mis au feu, on y lit un présage heureux ou
malheureux pour une demande en mariage.
Il n’est pas permis de tuer une grenouille
ou une hirondelle: la grenouille a été un
être humain; l’hirondelle passe l’hiver endormie
sur le fond des lacs. Les dents tombées
sont une offrande acceptable à l’araignée; si elle tisse sa toile de bas en haut, c’est présage heureux;
de haut en bas,, il faut s’attendre à un malheur. Le serpent convoque des assises, où il juge son peuple, etc.
L ’adoration païenne du soleil et du feu s’est perpétuée dans l’usage des feux de la Saint-Jean; dans
quelques endroits on en allume aussi la nuit de la Pentecôte. Ces feux, allumés le plus souvent sur les
hauteurs, parfois aussi flottant à la surface des lacs, sont un plaisir cher au peuple. La jeunesse des
villages veille toute la nuit de la Saint-Jean au son de la musique, fait des jeux et des danses sans se
douter qu’ils célèbrent la fête du dieu du soleil, à cette époque où le roi du jour atteint son période
dans le ciel. Dans la cour de la ferme se dresse un grand mât orné de guirlandes et de fleurs. La
salle commune est jonchée de feuillage, la cour, entourée de jeunes bouleaux. Des détonations d’armes
à feu éclatent dans la nuit claire, et les jeunes demoiselles de la maison du seigneur vont en secret
couper de jeunes épis qui, entourés de rubans aux couleurs prophétiques, leur présageront, la nuit suivante,
la joie ou le chagrin.
A la célébration païenne de la fête du soleil il faut opposer Noël, cet anniversaire du jour où la
lumière éternelle surgit sur le monde du milieu des plus profondes ténèbres. Il n’y a pas en Finlande