chacun de ces poèmes il entre un élément populaire, chacun nous donne le tableau de coutumes solidement
établies, d’un ordre respecté, de sentiments assurés; les questions brûlantes du moment n'y agitent
point les esprits. Dans «Hanna», délicieux tableau tout ensoleillé d’une tendre lumière estivale, c’est
l'amour qui fournit le léger élément de trouble et d’intérêt nécessaire à l’idylle, et c’est l’amitié qui amène
le dénouement. L ’amour, tel que Runeberg le peint dans Hanna, est un feu doux, qui peut pour un moment
jeter une flamme ardente, et qui pourtant durera toute la vie, pour peu que les circonstances
extérieures le permettent. L ’enjouement, dans ce délicieux poème, n’est plus la franche gaieté des- Chas^
seurs d’élans: c’est un fin sourire qui se mêle par instants à la douce mélancolie des soirs d’été dans le
Nord. Dans «La veille de Noël», au contraire, un tableau d’hiver infiniment chaud de couleur, la plaisanterie
se mêle à un sérieux profond et l’inquiétude est même plus vive que l’idylle ne semblerait le
tolérer. Au château, où le vieux major et sa famille s’apprêtent à fêter la veille de Noël, est arrivée la
nouvelle que le régiment du capitaine, mari de la fille aînée de la maison, a subi de graves pertes là-bas
en Turquie, où il fait la guerre. Ne' sachant rien du sort de l’être aimé, la jeune épouse et_sa mère
s’abandonnent à un chagrin qui agace le vieux guerrier, le rend irritable et dur. Dans cette situation
tendue, Augusta, la fille cadette, une enfant de seize ans, a mille occasions de déployer tout le charme
de son aimable n a tureelle apaise son vieux père en lui chantant une_ chanson des temps passés; elle_.a
composé pour sa soeur une jolie romance, qui, pour un instant du moins, ramène le sourire sur ses traits
pâlis par la douleur, et dans la salle commune des gens de service, où le vieux soldat Pistbl" l’ancien
frère d’armes du major, est en train de troubler la fête par d’effrayantes histoires de batailles, elle amène
le vieux grognard à changer de ton et à raconter un épisode, consolant de la dernière guerre. Pendant
qu’elle est ainsi occupée, arrive le capitaine: blessé, mais pas dangereusement, il a pu revenir au pays,
et tout se dénoue dans la joie, mais non sans un accord final viril et vibrant. Le fils de Pistol, l’appui
et la consolation de ses vieux jours, avait suivi le capitaine à la guerre et il est resté sur le champ de
bataille; c’est une sombre perspective que le vétéran a devant lui dans sa chaumière déserte, mais quand
le major et Augusta lui offrent de venir demeurer au château et que le vieux soldat préfère l’indépendance,
même avec la misère, à l’aumône reçue dans le riche château, ce trait rappelle à l’esprit du major
le courage énergique et fier de la troupe qu’il a jadis conduite au feu, et la pauvre, sainte patrie qui a
nourri de pareils fils. Cette fin du poème donne un avant-goût des plus belles inspirations de l’oeuvre
patriotique de Runeberg.
«Hanna» avait été accueilli en Suède avec la même faveur que lês Chasseurs d’élans en Finlande.
L’Académie suédoise lui décerna son grand prix en 1839; peu après, la réputation du poète commença
à se répandre en Europe, quand Xavier Marmier, dans ses études sur la littérature Scandinave, le place
à côté d’Oelenschlâger et de Tegnér comme un des trois grands poètes du Nord.
Cependant il n’avait pas eu le même succès dans sa carrière Universitaire. Ses études sur le drame
antique lui avaient valu l’agrégation (1830), mais les fonctions de professeur-adjoint lui furent refusées
(1833). Le profit pécuniaire qu’il tirait de ses écrits était fort mince; une chaire au Lycée de Helsingfors
et des leçons particulières, mais surtout l’habitude de ne jamais vivre au-dessus de ses moyens, lui permettaient
cependant, non seulement d’élever sa famille, mais encore d’envoyer quelques secours à sa
mère et à ses soeurs, restées en Ostrobothnie. Enfin on proposa à l’Université de le nommer professeur
chargé de cours d’esthétique, mais, la tâche ne lui paraissant pas assez bien définie* il refusa et préféra,
ses charges de famille augmentant, postuler une chaire de «lecteur» au gymnase de Borgâ. Il s’installa
dans cette ville au printemps de 1837.
Pour augmenter ses ressources, mais aussi sans doute pour avoir un organe à sa disposition, Runeberg
avait repris en 1832 la direction du journal «Helsingfors Morgonblad», qu’il rédigea jusqu’à son
départ, avec la collaboration de quelques-uns de ses amis. Il écrivit pour le feuilleton de son journal
un certain nombre de contes et d’autres morceaux en prose, ainsi que des adaptations, des imitations
et des canevas dramatiques qui n’ont d’importance que comme travail préparatoire aux oeuvres dramatiques
de la fin de sa carrière.