A côté de ces trois figures dominantes, le poème nous montre un quatrième héros, le sombre
Kullervo. Les six chants qui racontent sa vie forment presque un drame achevé et sont d’une profonde
poésie. Le sort tragique de ce héros d'une conception si grandiose tient à ce qu’il est né pour accomplir
une vengeance. Il en résulte qu’il ne peut occuper une place dans la vie commune sans apporter
le malheur avec lui. Il remplit enfin la mission de sa vie, mais accablé du poids- de cette tâche, il
s’est chaîné d’un crime dont il cherche l’expiation dans la mort.
Parmi les figures de femme du Kalevala, Louki, l’hôtesse du Pohjola, est seule peinte avec les mêmes
détails que les héros. Elle paraît conduite par une ambition et une convoitise sans scrupules quand elle
offre sa fille à celui qui forgera le Sampo, mais, le but atteint, elle ne remplit son engagement que par
contrainte. Pendant les noces, elle se montre hôtesse hospitalière et tendre mère, mais quand Lemminkâinen
a tué son mari, on la voit changée en une sorte
d’amazone qui venge l’injure par la guerre et le pillage.
Quand enfin les héros du Kalevala ont enlevé le Sampo,
source de la prospérité du Pohjola, Louhi devient une
furie altérée de sang, dont la haine diabolique rappelle
Krimhild, bien que ses plans ne soient pas couronnés du
même succès que ceux de l’héroïne germaine. — Les
autres caractères féminins sont bien plus sommairement
dessinés. La vierge du Pohjola est la fille heureuse d’une
maison riche, disposant librement de son coeur et de sa
main. Elle connaît sa valeur et sa beauté, et elle en-est
fière. Vive -à la riposte, elle expédie ses prétendants avec
esprit et non sans coquetterie. Enfin elle choisit Ilmarinen
à cause de son visage ouvert et de sa belle prestance,
sans s’inquiéter des conseils de sa mère, qui lui vante la
sagesse et la richesse de Vàinâmôinen. Aino, la malheureuse
jeune vierge, l’héroïne d’un épisode qui fait le pendant
de l’histoire de Kullervo, forme avec la précédente un
contraste marqué. Sa destinée est tragique comme celle
de Kullervo, mais elle n’est pas la victime de l’accomplissement
d’une tâche de la vie extérieure; elle succombe
en défendant le droit de la femme à disposer librement
de son coeur.
Le Kanteletar, s’il n’atteint pas tout à fait à la valeur
du Kalevala, n’en est pas moins un trésor poétique d’inestimable
valeur. Il comprend plus de 700 chants lyriques,.
divisés en trois livres: le premier^contient les chants com-
K u l l e r v o , s ta tu e d e C. E. S jô s t r a n d .
muns à tous; le second, les chants spéciaux, comme ceux
des jeunes filles, des femmes non mariées, des jeunes gens et des hommes; le troisième, des ballades
et des romances. Quand on est familier avec le Kalevala, on se retrouve facilement dans ce jardin de
poésie. On y retrouve l’élément lyrique du poème épique; le milieu est le même et souvent aussi le
sentiment.
Lônnrot a placé à la tête du recueil le chant suivant, qui a pour sujet le Kantele:
C ertes ils ne disent pa s la vérité. Que l’auguste vieillard l’a construit
Ils forgent d es mensonges et des fictions. D e l’épaule d’un grand brochet,
Ceux qui disent d e l’instrument. De la large mâchoire d’un phoque.
C eu x qui prétendent au sujet du kantele. L a musique est faite de douleurs,
Qu'il a été fait pa r Vàinâmôinen, E lle n’e st formée que de soucis; I lm a r in e n f o r g e a n t le S am p o
d ’a p r è s u n t a b le a u d e À . G a l l é n .