qui ignore totalement la vie spirituelle, la vie du coeur, tantôt, ne pouvant se passer complètement d’un
élément de joie, elle le cherche dans les jouissances matérielles, et le sensualisme devient son principe.
Si peu qu’une telle littérature soit faite pour satisfaire les besoins élevés de l’âme, elle pouvait intéresser,,
par sa nouveauté, elle pouvait même amener un véritable progrès. La poésie idéaliste avait atteint
et dépassé son apogée; à une si riche floraison, succédait une certaine fatigue, et les forces devaient trouver
un autre emploi. On ne saurait dire sans doute que les idées même qui avaient fait jusque-là le fonds
de la poésie fussent surannées; mais les formes dont la poésie revêtait ces idées étaient usées: ainsi le
rapport symbolique de la nature à la vie humaine, l’amour considéré comme un dévouement sans bornes,
un oubli complet de soi, le patriotisme consistant en un panégyrique exalté de son peuple et de son
pays, l’art pour l’art; images et versification demandaient à être renouvelées. Les créations des grands
écrivains étaient devenues des lieux communs, avaient traîné dans les albums de circonstance, dans les
élucubrations de poètes imberbes, dans les feuilletons, L ’invention de nouvelles formes* de nouveaux
sujets, c’est là qu’est la force et le mérite de la jeune école, surtout si on lui compare les épigones de
l’ancienne qui continuaient à puiser dans le même fonds les mêmes idées qu’ils revêtaienr des mêmes
métaphores. On éprouve une impression de renouveau à entendre une jeune génération chanter et décrire
ce qu’elle a vraiment vu et éprouvé, alors même que son horizon est plus étroit et plus bas, que
sa conception manque d’unité idéale, que la langue est plus commune et moins soignée. Il y a là certainement,
malgré une façon de sentir moins pure et moins noble, il y a là une poésie plus vivante et plus
vigoureuse que dans les productions sans réalité, tièdes et ternes de l’idéalisme en son automne.
Nous devons nous borner ici à un aperçu rapide du groupement des représentants de ces'différentes
tendances, d autant plus que la plupart de ces écrivains sont encore en plein développement;
Mais disons tout d’abord qu’en parlant d’un déclin de là littérature après 1863, nous n’avons nülle-
ment en vue le nombre des productions. Les journaux, devenus quotidiens et dé plus grand format,
exigeaient pour leur feuilleton des romans et des nouvelles qui, à eux seuls, dépassent en quantité toute
la prose romanesque de la période précédente. En poésie, il faut citer des traductions, telles que les
«Poèmes de pays étrangers», par K . , C o l l a n , le «Poema del Cid», par C. G . E s t l a n d e r , «La chanson
de Roland», par H u g o a f S c h u l t é n . Outre des traductions et adaptations mentionnées ailleurs, N . K i -
s e l e f f publia en 1881 une «Bibliothèque de théâtre» comprenant huit pièces, dont une partie traduites
du russe. On a de W ilh e lm B o l in (voir p. 231) une heureuse adaptation à la scène de toutes les oeuvres
dramatiques de Shakespeare. Les albums ont été quelquéfois nombreux, par exemple aux environs de
1870. Celui de la section des étudiants du Nyland a inséré de préférence des poésies populaires de
langue suédoise. Les oeuvres de débutants ont été plus nombreuses pendant cette période que pendant
la précédente, de même aussi les premiers essais de drames et de nouvelles qui n’ont pas eu de suite.
Nombreux ont été ceux qui ont ouvert leurs ailes, mais la force leur a manqué pour soutenir leur vol;
les talents capables d’une conception originale et profonde, ont été plus rares que précédemment.
De ceux qui méritent de nêtre pas tout à fait oubliés, la plupart, au commencement, appartenaient
à l’école idéaliste; c’étaient les épigones de l’âge d’or. T h e o d o r S e d e r h o lm (1832— 1881) travailla dans
une suite de publications périodiques à servir la cause de l’éducation des femmes et des enfants; la même
chaleur de coeur se retrouve dans ses petites poésies naïves, dans ses comédies et dans trois volumes
de récits intitulés «En Finlande». E m il F r e d r ik N e r v a n d e r (né en 1840), fils du physicien-poète, joint au
même ardent patriotisme une foi vivante dans la puissance du bien; il montre plus d’initiative et plus
d’originalité, particulièrement dans ses «Récits finlandais par Emlekyl» (1877) et ses «Tableaux finlandais
» (1887). Deux pièces en un acte: «La petite Finlandaise» et «Le gouverneur vient», sont d’ingénieux
tableaux d’intérieur, tandis que ses drames antérieurs, d’un vol plus ambitieux, «A Anjala» et «Les enfants
royaux», sont gâtés par un enthousiasme sentimental qui ne s’accorde pas avec son tempérament
sérieux et un peu lourd. Ses deux volumes de «Poésies par Emlekyl» sont de peu d’importance. Il
faut encore louer Nervander du zèle dévoué avec lequel il a étudié et recueilli nos Souvenirs littéraires
et nos antiquités. p ? Le premier rang parmi les poètes de cette école appartient à R a f a ë l H e r t z b e r g
(né en 1845) pour, les heureuses qualités de son style. Il employa d’abord son beau talent à des traductions
et des adaptations de poésies populaires finnoises («Des bords du Saimen et du Pâijâne», «Harmonies
finnoises» et «Contes populaires finnois»), aussi bien qu’italiennes, françaises et espagnoles («Chants
populaires de divers pays»). Après 1870 il a publié ses propres inspirations en un grand nombre de
volumes: «Contes par tz», «Chants et légendes», «Esquisses», «Poésies», «Nouvelles poésies», «La maison
paternelle». Mais ces inspirations ne sont pas tirées de la réalité, bien que celle-ci leur serve souvent
de Prétexte; elles proviennent dé ce monde idéal, créé par la poésie. Même lorsque l’auteur chante ses
propres souvenirs d’enfance, la plupart des traits sont connus d’avance; mais aucun des poètes d’aujourd’hui
ne dispose d’une langue aussi correcte, aussi élégante et mélodieuse, aussi riche en tournures parfois
géniales, aucun ne sait rendre en de plus gracieuses images des sentiments plus purs et plus aimables.
Hertzberg s’est aussi essayé dans le roman historique, mais avec moins de succès. Plus original, mais
embrassant un horizon plus restreint, J o n a t h a n R e u t e r (né en 1859) a chanté l e s paysages, les impressions,.
la vie dans les îles qui bordent les côtes. K. J. N u m e l l (1826— 1894) a publié sur le tard ses
essais littéraires («Mes brouillons», cinq volumes), entre autres deux tragédies dont les sujets sont empruntés
à l’antiquité finnoise. V . P e t t e r s s o n (prote, né en 1849), aussi fécond que modeste, a publié
en feuilletons, puis réuni,.sous les titres de «Scènes de la vie de Skatudden», «Récits du vieux sergent
de ville», «Un voyage de plaisir par terre et par eau», des tableaux et croquis de la vie de Helsingfors
qui ont vivement intéressé un nombreux cercle de lecteurs. Nommons parmi les nombreuses femmes-
auteurs de ¿^ groupe M a r i a L o v i s a F u r u h j e lm , née: baronne Gripenberg en 1846 (pseudonyme M a r i a ) ,
et E d i t h F o r sm a n (née en 1853, pseudonyme A in a ) ; toutes deux ont publié, des esquisses et de petites
nouvelles, soigneusement écrites, où elles peignent, dans une gamme douce, sérieuse, religieuse, des scènes
de la vie finlandaise, surtout en province; — La longue carrière de publiciste d’AuGUST S c h a u m a n n’entre
pas dans le cadre de cet aperçu. Mais de 1892 à 1894 il a publié sous le titre de «Soixante ans en
F in la n d e » , des mémoires (en huit fascicules) qui appartiennent à la littérature aussi bien par les
détails qu’ils fournissent sur des personnages littéraires que par l’aisance, la clarté, la sûreté du style.
Si nous mentionnons ici un écrivain plus ancien, L. L. L a u r é n (professeur de lycée, 1824 1884), ce
n’est pas pour s e s «Bourdons», poésies assez insignifiantes qui appartiennent à une période antérieure,
mais bien pour ses «Souvenirs d’école et d’université», qui éclairent d’une lumière bienveillante les personnages
et le milieu littéraires de ces temps passés.
Cependant l’esprit nouveau commençait à amener une transformation qui, chose remarquable, se
fait sentir d’abord dans le style. La conception est encore spiritualiste, mais elle cherche à s’exprimer
dans une langue plus colorée, bigarrée, parfois même jusqu’à la disharmonie. A la tête de ce groupe
de transition, il faut sans contredit placer W ilh e lm G a b r i e l L a g u s (ancien- professeur de lycée, né en
1837), avec son pathétique puissant et son humeur un peu sombre. Les jeux légers de la poésie lyrique
conviennent moins à son tempérament que ses formes narratives, la romance et la ballade, où peuvent
se développer la mission ou les événements d’une vie («Bacon», «Les fils du chevalier Uno», auquel
l’Académie suédoise a décerné un second prix, et ses «Romances»). Lagus donne à la vie un sens élevé
et idéal, mais iï la voit pleine d’épreuves amères, de voeux rompus, de fautes et de crimes. Cette disposition
devait tout naturellement le conduire à la tragédie. Dans le «Klubbhôfdingen» (Le chef de partisans,
1869), il donne de sombres scènes de guerre, dans «La reine Filippa» (1875), dont l’action se
passe au temps d’Engelbrekt, une lumière un peu plus sereine entoure la belle figure de l’épouse d’Erik
de Poméranie, et dans «Den nye adjunkten» (Le nouveau vicaire, 1881), il a voulu montrer le dévelop-
pement d’une grande force de caractère dans un milieu familier, gracieusement dépeint. Ce dernier est
un drame de la vie réelle; de même aussi la pièce intitulée «Pendant la nuit» présentait une peinture
saisissante, mais triste, d’une situation réelle. Dernièrement encore, Lagus a publié un recueil de poésies:
la plus grande place y est occupée aussi par des morceaux en forme de romances contant des histoires
tristes tirées de l’expérience journalière. Avec un talent plus lyrique, A n d e r s T h e o d o r L in dh (juge, né
en 1833) montre dans son premier volume de poésies, publié en 1862 et augmenté en 1875, une grande