
 
		«Les  chansons  de  Sylvia»  (1853— 1855),  les  dernières  «fleurs  de  bruyère»,  forment  une  transition;  elles  
 sont  ce  qu’avaient  été  dans  Franzén  les  «Chants  à  Fanny».  La  langue,  plus  musicale  que  jamais,  est  
 un  costume  d’apparat  qui  étale  plutôt  sa  propre  richesse  qu’il  ne  fait  ressortir  les  beautés  de  la  pensée:  
 celle-ci  est  quelquefois  assez  maigre.  Le  thème  de  ce  cycle,  c’est  la  beauté  de  la  nature  finlandaise,  la  
 paix  des  champs  au  milieu  des  luttes  et  des  discordes  de  la  vie,  le  miroir  uni  de  ses  eaux,  l'innocence  
 des  moissonneurs;  et  Sylvia,  sous  la  forme  d’uri  oiseau,  est  le  plus  fin,  le  plus  tendre,  le  plus  délicat  
 des  êtres  qui  peuplent  cette  nature,  bien  que  çà  et  là  seulement  quelques  traits  épars  lui  conservent  
 cette  forme.  Plus  tard,  dans  les  poésies  réunies  sous  les  titres  de  «Nouvelles  feuilles»  et  de «Bruyère»,  
 d’autres  pensées,  patriotiques,  géographiques,  historiques,  scientifiques,  humanitaires,  revêtent  ce  style  
 éclatant.  Dans  le  tableau  de  «La  débâcle»  des  fleuveS  de  Finlande,  il  Symbolise  les  aspirations  du pays,  
 en  1856,  à  plus  de  liberté;  dans  la  pièce  intitulée  «L’exhaussement  de  la  Finlande»,  il  raconte  comme  
 quoi  un  bon  géant  habite  les  profondeurs  dé  la  terre  et,  soulevant  l’écorce  terrestre,  donne  au  pays,  
 tous  les  vingt  ans,  le  territoire  d’un  comté  nouveau;  mais  le  géant  bientôt  s’est  transformé:  c’êst  la  
 jeunesse  qui  élève  le  pays  par  la  force  de  son  amour;  puis,  en  fin  de .compte,  ce  ne  sont  pourtant  pas  
 les  individus,  mais  les  libres  flots  de  l’esprit  qui  produisent  cet  «exhaussement»  de  la  patrie.  Il  fit  une  
 large  place  à  cette  philosophie  du  rôle  de  l’esprit  dans  la  nature  dans  ses  poèmes  de  circonstance  pour  
 les  fêtes  des  promotions  («Salut»  1844,  «La  science  a-t-elle  une  patrie?»  1853,-  «La lutte pour la lumière»  
 1860,  «Salut»  1890).  Il  était  bien  naturel  que  le  sentiment  religieux  prît  de  plus  en  plus  chez  Topelius  
 la  forme  d’un  mysticisme  clérical:  en  effet,  il  s’était  occupé du projet de psautier pendant plusieurs années  
 entre  1860  et  1870.  Ainsi  il  décrit  la  gelée  de  «La  nuit  de  septembre  1867»  comme  un  châtiment  de  
 la  Providence  provoqué  par  l’arrogance  de  la  raison,  l’impiété  et  le  péché“   Mais  quand  parfois,  dans  
 sa  lutte  contre  le  positivisme  envahissant  de  notre  époque,  il  renonce  au  symbolisme,  alors  son  
 vers  prend  un  essor,  son  style  une  vigueur  («La  formation  des  mondes».  «Le  coeur  de  Voltaire»)  qu’on  
 n’attendrait  pas  du  poète  des  Fleurs  de  bruyère;  et  sa  poésie  retrouve cette même puissance,  cette, même  
 abondance,  quand  il  parle,  admonestant  ou  flétrissant,  des  dissensions  intestines _(«L’obligation  originale 
 »,  «Les  dents  de  dragon»),  ou  quand  il  rompt  une  lance  pour  les  droits  de  la  femme  à  la  culture  
 intellectuelle,  ou  quand  il  exprime  son  admiration  pour  Garibaldi.  Pourtant  on  est  plus  heureux  encore  
 lorsque,  dans  ces  derniers  recueils,  on rencontre de petits  tableaux d’impressions,  comme  «Klockan klingar  
 pâ  Roines  strand»  (La  cloche  tinte  sur  les bords  du  Roine),  ou  de< joyeuses  et gracieuses arabesques brodées  
 sur  des  airs  de  danse  ou  d’autres  mélodies,  et  qui  rappellent  l’inspiration  plus  immédiate  et  plus  
 intime  des  Fleurs  de  bruyère. 
 Dans  le  journal  «Helsingfors  Tidningar»,  on  voit,  entre  1840  et  1850,  le feuilleton,'Consistant d’abord  
 en  courts  récits  en  forme  de  contes  ou  d’anecdotes,  grandir  peu  à  peu  et  prendre  la consistance de nouvelles, 
   généralement  sur  un  motif  historique,  comme  «La  reine  Sophie-Madeleine»  (1848),  «Le  vieux  
 baron  de  Rautakylâ»  (1849),  jusqu’à  ce  qu’enfin,  au  commencement  de  1850,  l’auteur  y- fait  paraître  son  
 premier  roman  «Hertiginnan af Finland»  (La Duchesse de Finlande).  Des peintures de moeurs d’Âbo  entre  
 1740 et  1750,  jetées  à  pleines  mains,  avec  le  talent  le plus  souple et le plus  brillant,  alternent dans  ce  récit  
 avec  des  tableaux  détaillés  de  la  guerre  déplorable  de  1741  à  1743;  l’ouvrage  fut  accueilli  avec  enthousiasme, 
   malgré  les  difficultés  du  sujet.  Tout  l’art  du  conteur  ne  pouvait  pas  empêcher  que  l’héroïne,  
 Eva  Merthens,  la  fille  du  bourgmestre  d’Àbo,  ne  se  soit  donnée  comme  amante  au  général  ennemi:  situation  
 qui  devait  faire  une  impression  d’autant  plus  fâcheuse  que  les  principes  les plus  sévères  régnaient  
 alors  dans  notre  littérature. 
 Topelius  avait  ainsi  essayé  ses  forces  comme  romancier;  il  avait  de plus  constaté  que,  dans sa petite  
 feuille  paraissant  deux  fois  par  semaine,  il  pouvait  pourtant  soutenir  l’intérêt  des  lecteurs  pendant  un  
 récit  d’une  certaine  étendue.  C’est  alors,  dans  l’automne  de  1851,  qu’il  commença  la  publication  des  
 «Fâltskârns  berâttelser»  (Récits  d’un  chirurgien  d’armée);  cette  célèbre  série  de  romans  tirés de  l’histoire  
 de  Suède  et  de  Finlande  est  en  son  genre  une  des  oeuvres  les  plus  distinguées  de  notre  littérature;  
 elle  a  été  traduite  tout  entière  en  danois,  partiellement  en  allemand  et  en  anglais.  Commençant  à  la 
 -bataille  de  Breitenfeld  et  à  l’apparition  de  Gustave-Adolphe  sur  le  théâtre  de  la  guerre  de  trente  ans,  
 l’auteur  reproduit  les  événements  les  plus  importants  de notre histoire jusqu’à la  révolution de Gustave  III  
 en  1772:  les  guerres  de  Pologne  et  de  Danemark,  la  domination  des  grands  seigneurs,  les  procès  de  
 sorcellerie,  la  réduction,  les  années  de  disette,  les  exploits  de  Charles  XII,  les  horreurs  de  la  grande  
 guerre,  le  retour  de  la  prospérité,  les  luttes  de  parti  pendant  l’ère  de  la  liberté,  la  science  et  Linné,  la  
 libre  pensée,  la  superstition,  le  réveil  religieux.  De  ces  matériaux  il  crée  des  épisodes,  des scènes assez  
 courtes,  plus  pu  moins  indépendantes,  reliées  en  un  récit;  il  y   a  trois  de  ces  récits  pour chaque période  
 historique.  Ses  profondes  études  documentaires  lui  fournissent  des  traits  qui  donnent  une  très  grande  
 réalité  au  récit,  animé,  d’ailleurs,  par  sa  vive  intelligence  du  sujet.  Il  ne  s’arrête  pas  à l’apparence  extérieure  
 de  la  nature,  de  la  vie,  des  événements;  il  reproduit  les  idées  dominantes  des  époques,  comme  
 aussi  les  Sentiments  dominants  des  personnages.  Le  style  aisé,  gracieux,  est  riche  en  expressions  heureuses, 
   tantôt  profondes,  tantôt  enjouées  et  spirituelles,  qu’il  s’agisse  de  peindre  les  lieux,  de  caractériser  
 les  époques  ou  de  raconter  les  événements;  cela  seul  suffirait  à  faire  de  la  lecture  de  ces  volumes  
 une_j puissance";  mais  la  valeur  de  l’oeuvre  tient  surtout  à  là  faculté  qu’a  l’auteur  de  donner vie aux idées  
 d’une  époque  en  les  incarnant  en  des  figures  librement  créées  à  côté  des  personnages  historiques,  sans  
 que  celles-là,-  sauf  peut-être  une  ou  deux  exceptions,  nous  paraissent  de  simples  personnifications,  et  
 sans  que  la  réalité  historique  rende  ceux-ci  raides  et  secs.  A   part  un  certain  romanesque  d’aventures  
 au  commencemërit,  un  peu  de  sentimentalité,  à  la  fin,  dans  l’expression  de  son  amour  pour  le  peuple,  
 et  aussi  un  élément  de  superstition,  cette  bague  magique  du  roi  qu’on  retrouve  à  travers  toute  la  série,  
 on  peut  dire  que  la  fiction  et  la  vérité  historique  ont rarement été  alliées  avec  autant  de  bonheur  que 
 dans  ce  grand  roman  en  cinq  cycles. 
 Le  fil  qui  relie  les  divers  épisodes  est  fourni  par  les  destinées  de  deux  familles,  les  Bertelskôld  et  
 les  Larsson,  que  nous  retrouvons  dans  toute  la  série;  d’autres  familles  de  moindre  importance  reparaissent  
 çà  et  là,  et  l’auteur  tiré  parti  avec  beaucoup  d’art  et  de  tact  de  cet  intérêt  biographique.  La  première  
 de  ces  deux  familles  sorties  de  la  même  ferme  de  l’Ostrobothnie,  s’élève  vers  les  hauteurs  de  la  
 société,  grâce  à  une  intrigue  amoureuse  entre  Gustave-Adolphe  et  la  jeune  paysanne  finnoise  élevée  à  
 Stockholm;  plus  heureux  en  cela  que  les  comtes  de  Vasaborg,  de  semblable  extraction,  les  Bertelskôld  
 donnent  à  la  Suède,  pendant  cinq  générations,  des  guerriers,  des  grands  seigneurs,  des  hommes  d’État  
 et  des  diplomates.  L ’autre  famille  reste  dans  une  condition  plus  obscure;  une  branche,  demeurée  sur  
 la  ferme  paternelle,  est  presque  détruite  pendant  la  grande guerre  du  commencement du  18e siècle;  l’autre  
 branche  devient  une  riche  famille  bourgeoise  à  Vasa;  ils  sortent  de  l’obscurité  lors  de  la  réduction  faite  
 par  Charles  XI,  quand  la  domination  des  grands  seigneurs  est  renversée,  et  pendant  l’ère  de  la  liberté,  
 alors  que  l’autorité  royale  n’est  plus  qu’un  nom.  La  réalisation,  sous  forme  de  traditions  de  famille,  de  
 la  longue  lutte  entre  le  pouvoir  royal,  l’aristocratie  et  le  peuple,  fait  l’unité  intérieure  du  récit,  lui donne  
 une  valeur  durable  et  une  importance  nationale.  Selon  une  bonne  vieille  habitude  des  romanciers,  Topelius  
 donne  un  cadre  commun  à  ses  tableaux  en  introduisant  entre  les  récits  de  gracieux  intérieurs  de  
 famille,  où  les  auditeurs,  groupés  autour  du  chirurgien  d’armée,  dans  sa  mansarde,  pour  écouter  ses histoires, 
   font  leurs  réflexions  sur  les  incidents  et  les personnages.  Tout à l’intérêt que nous éprouvons  aux  
 aperçus  que  l’auteur  nous  donne  ainsi  de  ses  opinions  et  de  ses  intentions,  nous  oublions  de  nous  demander  
 comment  il  serait  possible  d’attendre  du  chirurgien  une  conception  si  profonde  de  l’histoire,  un  
 dialogue  si  léger  et  une  si  heureuse  imitation  du  style  épistolaire  de  l’époque. 
 Entre  les  cycles  des  «Récits  d’un chirurgien  d’armée»  et  plus  tard  jusque  bien  longtemps  après 
 qu’il  se  fut  retiré  du  Journal  de  Helsingfors,  Topelius  régala de  petites  nouvelles  les  liseurs  de  feuilletons. 
   Ces  nouvelles,  il  les  rassembla  et  les  publia,  ainsi  que  «La  Duchesse  de  Finlande»,  sous  le  titre  
 de  «Veillées  d’hiver»  (1880— 1881).  C’étaient  de  jolis  récits  tirés  de  l’histoire,  comme  «Les  roses  de  
 Verna»  et  «Le  gant  du  roi»,  se  rapportant  tous  deux  à  la  guerre  de  Gustave  III  en  Finlande,  ou  des  
 tableaux  de  la  vie  des  hautes  classes  à  la  campagne,  comme  «La  chambre‘verte  du  château  de  Linnais»  
 et  «La  tante  Mirabeau»,  ou  de  la  vie  d’étudiants,  comme  «Vincent  le  nageur»,  ou  de  la  vie  de  petite