IV. ÉCONOMIE NATIONALE.
A. LA MONNAIE, LA BANQUE, LES ASSURANCES. .
1. La monnaie. Au point de vue monétaire, la Finlande offrait, au commencement de ce siècle,
un tableau bigarré et peu attrayant. Les billets et le billon dé la Suède-y, circulaient en même temps
que les assignats russes. Les échanges s’y concluaient indifféremment en monnaie suédoise ou en monnaie
russe. Ces deux instruments d’échanges n’avaient que cela de commun qu’ils avaient tous deux
cours forcé et subissaient tous deux des fluctuations de valeur.
La diète de Suède avait, il est vrai, décidé en 1800 d’abolir le cours forcé et de ramener ainsi l’ordre
dans les conditions monétaires. Mais l’effet de cette mesure, comme de bien d’autres antérieures, fut
peu durable. En 1810 on dut recourir de nouveau au'cours forcé et ce ne fut qu’en 1834 qu’on recommença
à rembourser les billets. Dès 1808 les billets de banque russes étaient tombés à la moitié de
leur valeur nominale (le rouble argent); ils tombèrent au tiers en 1811 et enfin aux deux-septièmes.
Considérant le mauvais état des conditions monétaires aussi bien en Suède que dans le pays auquel
la Finlande venait d’être réunie, la diète de Borgâ se prononça pour l’adoption d’une monnaie propre,
qui serait frappée à Âbo aux armes du Grand-Duché, mais ayant le rouble pour unité de valeur et le.
même titre que la monnaie d’argent russe. Les billets de banque suédois et russes et la monnaie de
cuivre ne seraient acceptés qu’au cours du change. Mais le* désir de la diète de voir la monnaie, du pays
basée sur l’étalon métallique fut impuissant contre ce système du cours forcé régnant en Suède et en
Russie. Quant au cours de la monnaie suédoise en Finlande, un manifeste du 29 décembre 1809, fondé
sur une décision de la diète, déclarait que dès le commencement de l’année suivante, les contributions
publiques seraient perçues exclusivement en monnaie d’argent russe où en billets payables en roubles;
plus tard le gouvernement dut défendre sous peine de confiscation l'introduction dans le pays de billets
de banque suédois de basse valeur. Mais ces ordonnances n’eurent pas l’effet voulu. Dans l’est, où les
relations commerciales avec la Russie étaient déjà plus actives, les billets suédois avaient en partie
disparu de la circulation. Mais dans l’Ostrobothnie, dans le gouvernement d’Âbo et dans l’ouest des
gouvernements de Nyland et de Tavastehus, ils constituaient encore jusque vers 1840 le principal moyen
d’échange, et on ne s’y servait guère de la monnaie russe que pour acquitter les impôts.
On vit bien là que la vie économique suit avec persistance certaines voies, indépendamment, en
quelque mesure du moins, des transformations politiques. Le commerce finlandais continuait ses anciennes
traditions. Comme par le passé, c’était en Suède, principalement à Stockholm, qu’on exportait les produits
de l’agriculture, et c’était de là qu’on importait la plupart des objets de nécessité. Aussi était-il dans la
nature des choses que les billets de banque suédois ne perdissent pas cours en Finlande; d’autant plus
que ce. ne fut que peu à peu, au fur et à mesure de l’amélioration des voies de communication, que les
échanges avec la Russie acquirent une importance quelque peu considérable dans l’économie de la nation
finlandaise.
Cependant, comme nous l’avons dit, la Suède avait aboli le cours forcé en 1834. Cinq ans plus
tard la même réforme s’accomplissait en Russie. La possibilité s’ouvrait dès lors pour la Finlande
d’établir la circulation métallique.
C’est ce qui eut lieîTpar l’adoption de la mesure dite «réalisation de la monnaie». Les billets suédois
furent remboursés en roubles argent à un cours avantageux pour le public, puis expédiés à mesure
en Suède, où ils étaient échangés contre des espèces métalliques ou des valeurs sur l’étranger, lesquelles,
à leur tour, étaient employées à l’achat de roubles argent. Cette opération, commencée en 1840, fut
poursuivie pendant deux ans. La somme représentée par les billets suédois ainsi échangés montait à
peu près à dix millions de notre monnaie actuelle.
. 'L’auteur de Cette opération était Lars Gabriel von Haartman. Il fut président de la commission
nommée en 1839 pour élaborer un projet sur la matière, et d’une section provisoire du département
administratif du Sénat, instituée en 1840 et qui fut chargée de la réalisation de la réforme. Les difficultés
étaient nombreuses, mais grâce à l’énergie de von Haartman l’opération put s’accomplir dans un temps
relativement court et sans perte pour le publie.
On était ainsi arrivé à amener l’unité dans le système monétaire du pays, et ce résultat resta acquis.
Mais l’autre but de la réforme, plus important pour le développement économique du pays, celui d’obtenir
la stabilité dans la valeur dé l’instrument d’échange, ne fut atteint qu’imparfaitement. Le seul établissement
de crédit du pays, le «Comptoir de change, de prêts et de dépôts», institué en 1811 et devenu depuis
la Banque de Finlande, reçut l’ordre de rembourser Ces billets en espèces métalliques sur présentation,
et des mesures furent prises pour assurer à la banque la possibilité de remplir cette obligation. Mais en
même temps on donna cours en Finlande aux billets émis dans l’Empire et la banque dut rembourser
ces billets comme les siens. ^Lorsque pendant la guerre d’Orient (1854— 56) le remboursement des billets
cessa en Russie, et que les ressources de la banque, suffisantes pour le remboursement de ses propres
billets, né le furent plus pour faire face à un afflux de billets russes, force lui fut bien d’interrompre,
elle aussi, le remboursement en argent. Ainsi, au bout seulement d’une quinzaine d’années de stabilité,
le pays se vit de nouveau aux prises avec les inconvénients économiques du cours forcé.
La nécessité d’une nouvelle réforme, d’une réforme durable, s’imposait. Dans les années qui précédèrent
et suivirent 1860, l’opinion se fit jour dans la pressé et dans diverses brochures que l’adoption
d’un instrument d’échange de valeur stable était le seul moyen d’échapper à une situation financière inquiétante.
Dans le sein du gouvernement aussi, l’on comprenait qu’une semblable réforme contribuerait plus
que toute autre à assurer l’avenir économique du pays; et quand vint le moment de la réaliser, les
hommes d’État alors à la tête des affaires firent preuve d’un patriotisme et d’une énergie dont le souvenir
restera.
Et les longues années qu’il fallut • pour accomplir cette réalisation, témoignent pour leur part
des difficultés qu’ils eurent à vaincre. Le 4 avril 1860 fut promulguée la première ordonnance sur cette
matière, statuant que la Finlande aurait sa propre unité monétaire, nommée. «marc», valant un quart
de rouble et divisée en 100 «penni». Mais le remboursement en argent ne fut édicté que cinq ans
plus tard, par l’ordonnance du 8 novembre 1865, qui déclarait la monnaie métallique seul moyen légal
de payement.
Cependant les billets de la Banque de Finlande, comme les billets russes, avaient perdu environ le
20 pour cent de leur valeur. Mais ils furent remboursés à leur valeur nominale. Seulement les particuliers
furent obligés de s’acquitter de leurs obligations selon le même taux. Aussi la réforme devait-elle
apporter quelque trouble dans les relations d’affaires. Mais maintenant les sacrifices sont oubliés et la