La troupe de Seyerling avait propagé le goût des représentations théâtrales. Pendant les années
qui suivirent son départ, de nombreuses troupes jjpâi dont quelques-unes allemandes — trouvèrent en
Finlande un terrain fertile à exploiter, et dans les endroits qui ne possédaient pas pour l’instant de troupe
de passage, des amateurs se chargeaient de satisfaire l’avidité du public pour les jouissances dramatiques.
Il se forma parmi les soldats de la garnison de Sveaborg une troupe qui donnait tous les dimanches une
représentation à Helsingfors, faisant toujours salle comble, bien que le répertoire ne se composât que
d’une pièce: «Les baillis royaux»!
On bâtit pour la première fois à Àbo en 1813 un local spécialement destiné aux" représentations
dramatiques; le premier théâtre proprement dit fut construit par Engel à Helsingfors en 1827. Ce dernier
fut inauguré par une troupe allemande avec une pièce de Kotzebue, et pendant dix ans encore on
chanta et on parla presque plus souvent en allemand qu’en suédois sur les meilleures scènes de la Finlande.
Un directeur de théâtre allemand, Schultz, donne tous les ans des représentations à Helsingfors,
de 1827 à 1834, et son répertoire comprend aussi des pièces lyriques ; d’autres troupes d’opéra, venues
de Russie et des provinces
Baltiques, quelques-unes même
de haut rang, font connaître
au public finlandais le drame
musical et contribuent à cultiver
le goût musical dans
notre pays. Une troupe suédoise^
sous la direction d’un
certain Westerlund, séjourne
en Finlande de 1830 à 1840,
donnant des représentations
à Helsingfors et dans les villes
de province, voire même dans
les campagnes; là, si l’on en
croit la tradition, le prix des,
places s’acquittait quelquefois
en nature: pour une mesure
de pommes de terre on était
admis à voir Hamlet, ou
Fiesco, ou «Die Ahnfrau» —
L e t h é â t r e d ’Â b o .
en effet le directeur n’admettait que la haute tragédie,, ce qui ne l’empêcha pas, plus tard, de quitter la
scène pour se vouer à la prosaïque profession d’aubergiste.
Vint ensuite une période remarquable dans l’histoire du théâtre chez nous: elle s’étend jusque'vers
I®5° et est marquée par des visites fréquentés des meilleurs artistes dramatiques de la Suède. Cette
période fut inaugurée, en 1836, par des représentations que donna pendant un mois d’été E m e l ie H ö g -
qv is t, la plus grande artiste peut-être que la scène suédoise ait possédée jusqu’ici; après elle nous trouvons
des noms comme T o r s s l o w , P ie r r e et F r e d r ik D e l a n d , N i l s A lm l ö f à la tête. de troupes qui
jouent alternativement à Helsingfors et à Àbo, où on venait de bâtir un élégant théâtre (1838). Des
acteurs de mérite donnent la réplique aux artistes éminents que nous venons de nommer, et le répertoire
Comprend les grandes oeuvres de la littérature dramatique européenne, en même temps que les plus
nouvelles productions du théâtre suédois. Le public et la critique surent apprécier à toute leur valeur
ces représentations, les premières vraiment sérieuses qui eussent été données en Finlande. Si même le
passage de ces troupes sur les scènes finlandaises n’a pas laissé de traces directement visibles, il faut
bien leur attribuer, à elles et à la qualité souvent supérieure de leurs productions, le mérite d’avoir
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X. LES BEAUX-ARTS.
éveillé l’intérêt pour le théâtre; cet intérêt grandit en silence à. chacune de leurs visites, jusqu’à ce que,
vèrs le milieu du siècle, il se révèle de bien des manières, mais par des signes indubitables.
On remarqué cet intérêt surtout peut-être dans le goût généralement répandu pour les représentations
d’amateurs. Elles fleurissent dans tous les coins du pays et à' tous les degrés — depuis les comédies'
françaises données par la haute société du pays et par l’aristocratie russe dans la grande salle du
principal hôtel, de Helsingfors, jusqu’aux représentations bien plus modestes dans les salles d’auberge des
petites villes. Et quand enfin, en 1849, quelques amateurs se risquent à donner le Barbier de Séville
de Rossini sur la scène du vieux théâtre en bois, l’enthousiasme ne connaît pas de bornes, et ne se
trouve nullement refroidi, l’année suivante, à la représentation de l’Élixir d’amour.
En même temps, E d v a r d S t j e r n s t r ô m , directeur de théâtre, prend l’engagement de jouer pendant
trois ans, de 1850 à 1853, à Helsingfors, Àbo et Viborg. Lui-même artiste éminent, il s’était entouré
d’une bonne troupe et avait choisi son répertoire avec le discernement d’un véritable artiste. On eut
ainsi l’avant-goût d’une troupe permanente, et les journaux discutent de plus en plus sérieusement la
question des moyens de s’en procurer une. Et comme pour montrer quels, fruits on en pourrait espérer
pour l’art dramatique national, c’est alors que paraissent et que sont représentées les premières pièces
importantes d’auteurs indigènes: en 1851 «Cinquante ans après» de Topelius et «Le combat de la vie»
de Berndtson, en 1853 «Regina von Emmeritz» de Topelius, restée au répertoire jusqu’à aujourd’hui.
L ’année qui sépare ces deux dates est marquée, dans les annales du théâtre, par un événement qui
influera beaucoup sur son avenir. Une nouvelle représentation d’opéra réunit les amateurs des différents
cercles artistiques et littéraires de la ville; seulement, cette fois il s’agit d’une oeuvre entièrement indigène:
l’opéra de 'Pacius «La chasse du roi Charles», composé sur un livret de Topelius et joué par des amateurs,
tous de Helsingfors, acteurs, orchestre et choeurs; représenté pour la première fois le 24 mars 1852 devant un
public enthousiasmé, il fut donné huit fois de suite, faisant toujours salle comble. Et sous l’impression de cette
première représentation, on. décida debâtir un nouveau théâtre répondant à toutes les exigences modernes.
Toutefois l’enthousiasme mit du temps à prendre la formé d’espèces Sonnantes. Puis arriva la
guerre d’Orient et devant les canons dès alliés toutes les hautes visées idéales s’évanouirent. ’ Huit ans
seulement après être né, le projet se trouva réalisé: un nouveau théâtre s’élevait à l’une des extrémités
de l’Esplanade de Helsingfors. La musique finlandaise fit de nouveau de Sbn mieux pour inaugurer
dignement la nouvelle salle. F. von Schantz avait écrit une «Ouverture de Kullervo», F. Cygnaeus, un
prologue, Topelius et Pacius avaient de nouveau collaboré à la création de la féerie «La Princesse de
Chypre». Ce fut donc sous de favorables auspices que les muses prirent possession de leur nouvelle
demeuré; on n’avait pas, il est vrai, comme Gustave III, inscrit sur le frontispice l’engagement de consacrer
le temple «patriis musis» ; on faisait mieux que promettre, on donnait des oeuvres!*
Le tableau qu’avait offert le théâtre en Finlande après le départ de la troupe de Stjernstrôm et
pendant la guerre de Crimée, rappelait singulièrement la période de 1827 à 1840. Les conjonctures
politiques empêchaient les troupes de théâtre suédoises de passer le golfe, et quant à celles qui se soumettaient
aux fatigues d’un voyage de terre par Torneâ, elles n’étaient évidemment pas de premier ordre.
Cependant Helsingfors, au moins, avait en compensation les troupes allemandes qui jouaient ordinairement
en Russie et qui, par ces temps de guerre, n’y faisaient point leurs affaires. C’est ainsi que, pendant
le printemps et l’été de. 1856, la capitale put jouir d’une cinquantaine de représentations d’opéra
données par l’excellente troupe de Schramek. — Après la guerre il revint de bonnes troupes de Suède.
Andersson, directeur de la meilleure d’entre elles, avait avec lui quelques acteurs de l’ancienne troupe
de Stjernstrôm et reste en Finlande jusqu’en 1860. Il présente en 1859 au public de Helsingfors Mlle
H e d v ig C h a r l o t t a F o r sm a n , qui fit tout de suite sa conquête et qui plus tard, devenue Madame Raa,
inscrira son nom dans les annales de l’art dramatique finlandais.
Dès 1850 on avait constamment entretenu l’idée d’arriver à posséder une troupe permanente. Cette
troupe pourrait plus tard se recruter en Finlande et deviendrait tout à fait indigène: tel était du moins
l’espoir des plus chauds partisans de cette idée et en particulier de Fredrik Cygnaeus, qui ne cessait de