Snellman avait fait vers cette époque un voyage d’études. Le récit qu’il en publia en 1842 sous le
titre de «Un voyage en Allemagne 1840— 1841», offre un tableau instructif et attachant de l’Allemagne de
cette époque. Le style alerte, la variété des observations, les incidents de voyage, les,anecdotes, les réflexions,
alternant avec les tableaux d’ensemble et tes, paysages, mais avant tout la personnalité du voyageur,
cette nature droite, intrépide, positive, si portée à généraliser les phénomènes, mais à qui s i philosophie
a appris qu’il faut, pour les juger, les considérer d e . différents côtés, tout cela fait de ce récit une oeuvre
remarquable en son genre. Le fond de son jugement sur la nation allemande est .que 'seul le savoir qui
est devenu vivant dans la nation et, en première ligne, dans, sa vie politique, est un véritable savoir;
cette idée nous intéresse aussi parce qu’elle a été le principe de toute l’oeuvre de sa vie. Dans le domaine
des belles-lettres, il n’écrivit, après son retour en Finlande, que des choses de peu d’importance,
des feuilletons dans son journal le «Saima», des souvenirs de voyage romantisés, des croquis de la guerre
de 1808, des esquisses contemporaines. Plus importantes sont ses critiques des productions littéraires
du temps, surtout lorsque la force des circonstances l’eut contraint à remplacer le Saima par des revues
d’un caractère plus littéraire, le «Kallavesi», en 1846, et le «Litteraturbladet» (la Feuille littéraire),
en 1847.
Mentionnons enfin, sur la limite entre cette période et la suivante, un recueil d’esquisses. «Cent
souvenirs de l’Ostrobothnie», par S a r a E l i s a b e t h W a c k l in ( 1 7 9 0— 18 4 6 ). qui, elle aussi, s'était établie
en Suède et y avait écrit ses souvenirs sous l’influence des courants littéraires régnant alors! La publication
ne fut achevée qu’en 184 4 . mais les souvenirs remontent presque tous aux premières années du
siècle jusqu au voyage de l’Empereur Alexandre ( 18 1 9 ) et à l’incendie d’UIeâborg en 18 2 2 . Elle décrit
dans une langue claire et pittoresque la ville et ses environs sur les bords des puissants rapides par
lesquels la rivière d’Uleâ se précipite dans le golfe de Bothnie; elle peint les moeurs naïves d’une des
contrées les plus septentrionales du monde civilisé, où la vie emprunte une couleur étrange au mélange
de la nature lente et lourde des régions polaires avec les influencés de là civilisation du Midi, entretenues
par l’activité des relations commerciales. Les premiers récits sont les plus attachants: le ton en est gai
et les anecdotes coulent de la plume, abondantes et sans efforts. Plus tard, elle s’applique à bien écrire;
alors le style est en effet plus soigné, mais assez souvent affecté; et sentimental. Ce qui prête un intérêt
particulier aux souvenirs de Sara Lisa Wacklin, c’est que, par une coïncidence curieuse,. Franzén, Ruheï
berg et Topelius ont passé une plus ou moins grande partie de leur enfance dans les milieux qu elle
decnt. On retrouve encore d’autres noms célèbres d’Ostrobothniens dans ces mémoires, qui ont été
réédités à Stockholm jusqu’en 1887.
Runeberg. Cygnaeus. Topelius. Jusqu’en 1863. L ’année 1840 n’inaugure pus,, quant; aux
principes, une nouvelle ère pour notre littérature. Le patriotisme et l’idéalité l’inspirent de plus en plus.
Mais ce qui distingue cette époque, c’est une production littéraire beaucoup plus active. Le jubilé de
l’Université (voir p. 172 s.}, alors que Nervander et Stenbâck déposent pour toujours la lyre après avoir
fait entendre à cette occasion leurs accents les plus inspirés, cette année-là marque à cet égard le commencement
dun temps nouveau. Les albums littéraires se multiplient, tout en augmentant de valeur.
Ce sont d’abord «L’Album national finlandais de 1840» et celui que J. G r o t publia en suédois et en
russe en commémoration du deuxième centenaire. -Pour ne citer que les meilleurs, nommons le «Necken»,
publié par F. Berndtson en 1845, 1846, 1847, 1849, «Lârkan» (l’Alouette), par E. v. Qvanten en 1845,
1849, «Fjâriln» (le Papillon) par F. Berndtson en 1851 et «Veteranen» (le Vétéran), par G. Lagus en
1858: on voit par là qu’à côté des maîtres s’élevait une phalange toujours plus nombreuse de jeunes fils
d’Apollon. Et il y a encore l’album «Finska Kadetten» (le Cadet finlandais), publié en 7846 par L. For-
sten et d’autres anciens élèves du Corps des cadets, puis la publication faite par la section des étudiants
ostrobothmens sous le titre de «Joukahainen», dont le premier fascicule parut en 1843 et qui servit
d’exemple, par la suite, à plusieurs sections d’étudiants. L’.Anthologie finnoise» et P-Album patriotique»
publiés par R o b e r t T e n g s t r û m avec H. Kellgren et K. Tigerstedt en 1845 et 1847, méritent une mention
spéciale, c a r '* , contribuèrent en une grande mesure à fortifier l’influence de l’élément populaire, en faisant
connaître par des traductions la poésie et les mythes finnois. Dès 1841 avait paru une traduction
en vers # la première édition du Kalevala, par M. A. Castrén; elle fut complétée; en 1851 et 1852, par
tes | fd e s de Kullervo et de Lemminkainen, traduits par C. G. B o rg d’après la nouvelle édition; plus
tard, en 1864. le Kalevala complet fut répandu dans le public de langue suédoise par une nouvelle traduction
de K. C o l l a s . Cette période vit aussi paraître dès;, traductions de Heine (par K. Collan), de
’ Goethe. d’Oelenschlager, de Robert -Burns, de Lermontoff et autres poètes russes, de poésies de l’antiquité
et de' l’Orient; ces traductions r.e lurent pas sans influence sur la formation du goût poétique.
Des volumes de vers lyriques virent aussi le jour en grand nombre à cette époque. C’étaient souvent
des fruits un peu hâtifs qui n’étaient pas suivis de productions plus mûres; en tout cas ils attestent
que le .goût et la facilité littéraires étaient fort répandus alors. On peut en dire autant des romans,
font on peut compter trente à quarante pendant ces, quelques années: bon nombre étaient des imitations
rifie, Dumas, de Jules Sandeau, de Dickens, davantage encore d’Emilie Carlén et d’August Blanche,
dont les ouvrages étaient répandus dans tout le pays par deux collections de romans, publiées l’une
à; Borgâ, l’autre à Viborg. Les imprimeries même de la province avaient leur part dans cette pro-
duction littéraire; un centre littéraire parut même se reformer à Àbo: il avait sa collection à lui
quil publia de01847 à 1856 sous le titre d’«Aura» et quijjcontenait pas mal de nouvelles originales
et de pièces dramatiques. On vit aussi des produits indigènes au répertoire des théâtres; c’étaient
surtout des comédies et des vaudevilles à 1 usage des troupes ambulantes et. des, théâtres de so-
c,êté- Quant à l’éloquence, où Cygnaeus se révéla bientôt comme un maître, elle allait d’ailleurs le
même train d autrefois, un peu lourd, dans les tètes universitaires et aux séances solennelles de la Société
des Sciences Dans le domaine' de 1 histoire, il se publia quelques travaux témoignant de recherches
solides, mais sous le rapport du style, il n’y a guère à mentionner que les ouvrages de Cygnaeus, dont
nous parlerons plus loin. En revanche il faut citer les «Voyages et recherches dans le Nord» de Matthias
Alexander Castrén: publiés en six volumes, de 1852 à 1870, après la mort de l’illustre linguiste, par son
fidele ami et biographe C. G. Borg, ces voyages offrent dans leur partie narrative le charme d’une prose
unie et claire, égayée çà et là des saillies d’une humeur enjouée. Vives de style et souvent délicieuses
d’humour, les «Notes de voyages en Orient de 1843 à 1849», de Georg August Wallin (publiées de 1864
à. 1866 par S. G. Elmgren), assurent à leur auteur, le célèbre orientaliste, une place parmi nos prosateurs
de cette époque il nous donne une image intéressante du phlegmatique docteur arabe, car c’est sous ce
déguisement qu’il se hasarda au milieu des tribus du nord de l’Arabie, en même temps qu’il nous fait
connaître les moeurs, le caractère et la vie de ces enfants du désert.
Au-dessus de cette production littéraire moyenne, s’élèvent quelques écrivains de race. Cygnaeus,
Topelius. Berndtson, Fredrika Runeberg, la tèmme du poète, et au-dessus d’eux tous. Runeberg lui-méme.
dont chaque ouvrage, à son apparition, était maintenant un événement public. Le séjour de Borgâ ne
paraissait nullement agir défavorablement sur son talent littéraire. II pouvait comme avant se livrer à
la pêche et à la chasse: sa vie simple et hospitalière, sa nature ouverte, saine et joyeuse le faisait aimer,
autant qu’il était admiré, de cette petite société dont il était le grand personnage qu’on venait voir de
près et de loin. Si un; voyageur notable visitait le pays, il ne manquait guère de faire un pèlerinage à
la petite ville, comme Xavier Marinier, pour y visiter le grand pocte.
C’est une occasion de ce genre qui fournit à Runeberg l’idée de sa «Nadeschda. poème en neuf
chants» (1841). la première grande composition où le poète quitte le cher terrain de sa patrie qu’il connaissait
si bien. Pour peindre ce tableau de la vie. russe sous Catherine II. il abandonne la forme de
l’idylle et adopte le vers de la romance, plus libre et plus lyrique; ces vers, non l imés, sont d’une souplesse,
d’une délicatesse infinie. On ne trouve pas ici la même richesse de traits pittoresques empruntés à la nature
et à la vie que dans ses poèmes finlandais. Runeberg n’a jamais visité la Russie, mais les traits qu’il
emploie sont heureusement choisis et suffisent à donner au poème une couleur singulièrement chaude et
moelleuse, en même temps que légèrement mélancolique. Quant à la vérité historique des moeurs et