historiques ou par les héros de la civilisation moderne; là il y a plus de clarté et de force; il Semble
qu’il ait passé de l’influence mélancolique de Lamartine à celle de la muse pleine d’audace de Victor
Huo-o. Ce n’est que dans les sujets patriotiques que son talent, qui n’est jamais celui d’un maître,
réussit à revêtir ses inspirations d’une formé heureuse. A ces compositions patriotiques appartiennent
ses poèmes pour les fêtes des promotions de 1840, de 1850 et de 1864, puis de longues méditations sur
les temps de Per Brahe et de Porthan, sur la poésie populaire finnoise, d’ardentes et informes rêveries
tantôt sur le passé, tantôt sur l’avenir, inspirées par son grand amour de la patrie. Les contemporains,
parlant du poème de 1840, ont attesté l’action profonde que Cygnaeus exerçait sur les jeunes esprits
par cette manière nouvelle de voir en grand ce qui s’est fait en Finlande, comme s’il s’agissait de rares
exploits littéraires ou guerriers. La postérité n’a pas pu ignorer au même degré la raideur du vers, la
diction contrainte, l’exagération des jugements, mais elle n’a pas méconnu non plus l’inspiration patriotique.
On retrouve dans Cygnaeus historien et critique la même disposition à l’excès dans la louange et
dans le blâme, mais l’originalité de l’expression prête à sa prose un charme que n’ont pas ses-vers.
Les longues périodes, rappelant celles de Jean-Paul, sont développées' avec une impeccable sûreté et
attestent l’empire qu’il avait acquis sur la langue; il en emploie toutes les ressources pour rendre les
nuances d’une pensée allant de l’ironie à l’humour et à l’invective. Ses écrits historiques sont le produit
de recherches documentaires et de méditations patriotiques; riches en aperçus brillants, mais nés souvent
des mouvements de l’imaginafion plutôt que de là vérité des choses, pleins en outre de souvenirs personnels,
de saillies, de digressions de tout genre, sans beaucoup de méthode, mais attachants comme des
causeries de haut style. Pour juger le passé, il se met au point de vue de l’avantage et de l’honneur
de la Finlande, comme si les hommes d’alors avaient pu être dirigés par les mêmes sentiments patriotiques
que lui. Cette subjectivité se retrouve dans ses deux drames «L’époque de Claes- Fleming» (1851)
et «Les rêves de jeunesse du duc Jean» (1854); il a voulu y transformer ses méditations- en figures dramatiques,
mais il ne sait pas donner la vie à ses personnages, ni aucune nécessité, soit extérieure, soit
intérieure, à l’action; de plus, il est toujours porté à envelopper sa pensée de métaphores et d’allusions
qui alourdissent le dialogue. Ce qui rend intéressante la lecture des drames de Cygnaeus, comme de
ses écrits en général, c’est qu’ils vous mettent en rapports intimes avec un grand esprit, ardent pour
tout ce qui est héroïque, chevaleresque, loyal, humain, mais; par-dessus tout, pénétré d’admiration pour
la patrie, son peuple, les hommes qui, dans le passé, ont travaillé pour elle.
Il faut mettre- au premier rang de ses travaux de critique sa profonde analyse du cycle de Kul-
lervo (1853); il en expose magistralement la donnée tragique et la sauvage poésie. Une dissertation
académique sur «Erik XIV comme caractère dramatique» (1853) est une bonne étude de la période littéraire
successive au romantisme en Allemagne et en Suède. La meilleure preuve de la compétence de
Cygnaeus comme critique littéraire, c’est sa chaude admiration pour le génie de Runeberg, si diamétralement
opposé à son propre talent. Il n’y avait pas place dans son coeur pour un sentiment mesquin;
exempt de toute jalousie, il loue Runeberg de sa lumineuse objectivité et de la perfection de son_ style.
Les éloges de Nervander (1848) et de Franzén (1872) sont parmi les travaux de critique de Cygnaeus
qui ont conservé le plus d’intérêt pour la postérité, v Cygnaeus orateur ressemble beaucoup à
Cygnaeus essayiste: même abondance large et calme, même habitude de mêler aux impressions suscitées
par le sujet des souvenirs personnels, des comparaisons hardies, des effusions de sentiment, mais ici
l’hyperbole est plus à sa place, et le grand talent de diction de l’orateur, la dignité de sa tenue, ses
gestes sobres, tout contribuait à éveiller chez les auditeurs les émotions dont il était lui-même pénétré.
C’est surtout comme orateur que son influence fut bien marquée dès le moment où il quitta Fredriks-
hamn pour l’Université. Son discours du 13 mai 1848 sur «le nom de la Finlande» fut accueilli par
la jeunesse avec un enthousiasme indescriptible. Et cette jeunesse lui demeura fidèle dans la suite,
quand les sentiments étaient calmés: chaque année, à son jour de naissance, les étudiants le fêtaient par
des chants, et il répondait à cet hommage par un discours.
Revenu de Son long voyage à l'étranger, Cygnaeus fit pendant quelques années, comme agrégé,
un cours d’histoire de la révolution française; après quoi il fut nommé à la chaire nouvellement créée
d’esthétique et de littérature moderne; il travailla dès lors avec un succès grandissant à la diffusion de
ses nobles idées. Il se servit aussi de son influence comme orateur et comme écrivain pour favoriser
les intérêts du théâtre; président de la Société des beaux-arts, il fit beaucoup pour l’avancement de l’art
en Finlande. Jusqu’à sa mort, en 1881, c’est-à-dire pendant plus de dix ans encore après avoir quitté
sa chaire, il continua cette fructueuse activité, dont on trouve une image détaillée dans ses «OEuvres
complètes» en dix volumes, augmentées de l’éloge de E. Nervander.
Moins original et d’imagination moins puissante, Z a c h a r i a s T o p e l iu s a, à un haut degré, le don
de la forme qui manquait à Cygnaeus. Le plus jeune des frères en poésie d’après 4830, plus que tous
les autres il a reçu directement de la nature le talent de parler une langue poétique en prose comme
én vers. Né en 1818 près de Nykarleby, la ville voisine du lieu de naissance de Runeberg, il entra à
l’Uniyersité en 1833 et n’appartint proprement pas
au cercle des Veillées du samedi, mais il en subit ^ ...................... l0al3S».
l’influence à l’âge où l’esprit est le plus souple. On
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l’avait ~ envoyé à treize ans dans la capitale pour l ’y
préparer à l’examen d’admission à l’Université; il
fut confié aux soins de Runeberg et demeura dans
sa famille. Il fut reçu licencié en 1840; il étudiait
surtoùt, outre la littérature, l’histoire et la philosophie.
Il fut un de ceux à qui Cygnaeüs ouvrit de
nouvelles perspectives sur l’histoire nationale; cependant
il se plaça sur un terrain différent, puisqu’en
1845 (dans le «Joukahainen») il exprimait un doute
que la Finlande eût une histoire avant 1809. D’autre
part, il avait hérité de son père l’amour de la poésie
populaire finnoise, et ces deux sentiments, joints aux
impressions profondes qu’éveillait en lui la nature
finlandaise, furent les principaux éléments de sa poésie
si pleine de charmel^.ÿ;
Cependant il entra, à peine âgé de 24 ans, dans
la carrière du publiciste, à laquelle la facilité de sa
plume le rendait très propre et il y persista jusque .
dans son âge mûr. Il rédigea le journal «Helsing-
fors Tidningar» ; son talent chaud et coloré s’y fit
Z a c h a r ia s T o p e liu s .
valoir surtout dans les «lettres au lieutenant Leopold
en Grusie», dans des causeries, des essais de critique, des feuilletons; il devint bientôt le grand favori
du public, et sa feuille, le journal le plus répandu du pays. Ce fut là, de 1840 à 1850, la source de
toute une littérature de poésies lyriques et de nouvelles, importante dans l’histoire littéraire de langue
suédoise en Finlande.
En 1845 Topelius publia son premier volume de «Ljungblommor» (Fleurs de bruyère); le second
parut en 1850, et le troisième, avec les «Chansons de Sylvia», acheva en 1854 cette période où sa production
lyrique est dans toute sa fleur. A l’inspiration lyrique immédiate succède une poésie symbolique et
réfléchie; le génie de Topelius suit en cela le même développement que celui de Franzén, qu’il rappelle
à tant d’égards. Il publia son prochain recueil «Nya blad» (Nouvelles feuilles) en 1870; sa muse était
bien changée, et quand, en 1889, il donna à son dernier volume le titre de «Ljung» (Bruyère), il voulait
dire par là que l’époque dè la floraison était passée.