sûreté de main, développée par un grand nombre de traductions et d’imitations, surtout du Kalevala.
Lindh ne se rattache par aucun lien sensible à l’époque précédente, son style est réaliste, mais élégant
et soigné; il a un esprit viril qui cherche, sans aucune sentimentalité, ses inspirations lyriques dans les
manifestations de la vie, choisissant de préférence les faits tristes et sérieux et les jugeant dans un esprit
positif et pratique, mais, toujours élevé. Gomme chez Lagus, le patriotisme, chez Lindh, est plutôt dans
le ton que dans les sujets, et le ton chez lui affecte volontiers un timbre suédois. Lindh aussi se sentit
attiré vers le drame; il ne réussit pas trop dans «Le roi Birger et sès frères» (1864), mais l’aimée suivante,
dans sa tragédie de «Marie d’Écosse», il sut traiter avec beaucoup de charme ce sujet tragique si
difficile; cependant l’image qu’il donne de Marie et de son entourage, conçue dans un esprit d’humanité,
est bien moins vraie et d’un effet bien moins grand que les Scènes passionnées de la «Marie Stuart en
Ecosse» de Björnstjeme Bjôrnson, parue à la même époque. Il est regrettable que Lindh n’ait pas poursuivi
une carrière qui s’ouvrait si bien. O. M. R e u t e r (zoologiste, voir p. 251) a publié, en 1881, des
«Poésies» où il rend, avec force et avec une préférence pour les couleurs sombres, ses impressions de
la vie réelle, et surtout de la nature. Son cycle intitulé «La légende dé Karin Mânsdotter» (1880) contient
d’excellentes parties, mais l’auteur n’a pas su, en somme, donner à la matière historique une valeur
poétique supérieure. K- E. W ic hm a n n (pseudonyme «Gänge Rolf»; professeur à l’école normale primaire
de Nykarleby, né en 1856) a assez souvent échoué dans des tentatives semblables; ses recueils de ppésiès
«Chants et hymnes» (1882), «Tableaux et ballades» (1886) et le cycle intitulé «La guerre des massues»
(1893) sont des essais plus ou moins réussis de donner à l’histoire la forme et la couleur poétique. Il
atteint plus haut lorsqu’il s’inspire de son enthousiasme, échauffé par la lutte des partis, pour l’antiquité
Scandinave et la civilisation suédoise; cet accent prêtait quelque chose de l’éclat du clairon à son premier
recueil de poésies «Pâ fria banor» (A l’aventure, 1880). Malheureusement Gänge Rolf n’a pas ce soin
de la forme et de la Composition qui le mettrait à l’abri du reproche de dilettantisme. — Bien que nous
devions passer sous silence plusieurs femmes-auteurs, nous ne pouvons pas ne pas faire une place d a n s
ce groupe à L o u i s e A d e l a i d e E h r n r o o t h (née en 1826); depuis bientôt trente ans elle écrit avec un
entrain spirituel des nouvelles et des récits de voyage; elle a traité aussi des questions du jour, en particulier
les revendications de la femme. Dans ses intrépides campagnes contre la domination masculine
elle aborde parfois des sujets où les -anciens ne se seraient pas risqués, mais où la jeune génération sé
sent beaucoup plus à l’aise. C. F. W a h l b e r g (médecin militaire, né en 1847) a pris plus que tout autre
les questions du jour pour sujets de nouvelles et de pièces qu’il publia en grartd nombre dans l’espâce
de quatre ans, de 1881 à 1884. On ne saurait contester à ses drames «L’éducation de société», «Pierres
d angle» et «Violence» 1 invention, la puissance de l’effet scénique, la saveur dans les peintures, mais
ils manquent de vérité dans les moeurs- et les caractères. A x e l L i l l e (docteur en droit, journaliste, né
en 1848) a montré un sentiment vrai et une connaissance sûre de la vie du peuple dans deux esquisses
dramatiques, où cependant les chants et les danses populaires qui s’y trouvent en grand nombre ne
s’harmonisent pas très bien avec le réalisme un peu sombre du reste. Dans des récits de chasse publiés
sous le titre de «Frân skog och sjô» (Par monts et par vaux), O. W e t t e r h o f f (forestier, 1835— 1892)
nous donne de vives peintures de la vie dans le Tavastland, parmi les chasseurs de phoques de l’Ostro-
bothnie et dans les steppes de la Russie. P. N o rdm a n n (professeur de lycée, né en 1858) a écrit des
nouvelles sur des thèmes populaires. Enfin, dans ces dernières années, un auteur dramatique remarquablement
doué, G u s t a f A d o l f v o n N uMe r s (né en 1848), a publié des drames qui ont été joués avec
applaudissements sur la scène finnoise.
Vers 1885 se produisit la crise qui chez nous aussi conduisit la poésie dans la voie d’un naturalisme
plus ou moins absolu. Une publication intitulée «Verdandi, feuilles éparses par dès Finlandais
suédois» et qui parut de 1882 à 1885, Peut être considérée en quelque mesure comme l’organe des jeunes
adeptes de l’art moderne. Naturellement, l’impulsion était venue de France, plutôt, chez nous, d’Alphonse
Daudet que de Zola; mais elle nous venait aussi des pays Scandinaves, de Jacobsen, de Kielland, de
Strindberg. Quant au style, le lourd et le triste fit place à une description animée empruntant de nouvelles
images à des domaines encore inexploités par notre poésie. L’action, auparavant déjà insuffisamment
motivée, devient insignifiante, parfois elle manqué totalement; on s’appliquait moins à l’art de conter qu’à
celui d’analyser et de 'décrire. On charmait l’esprit du lecteur par la vivacité de la peinture, mais en
revanche la conception des manifestations de la vie ne dépassait pas un sensualisme plus ou moins délicat,
qui. voit dans les jouissances des sens le but et la sagesse de l’homme. Pourtant J o h a n J a k o b
A h r e n b e r g (né en 18 4 7 ) n’est pas allé si loin dans ses romans. Avant 188 0, il a cherché des motifs
dans les. pays/'étrangers; depuis, il a trouvé dans la Finlande Orientale le vrai terrain où exercer son
talent de peintre. Les courts récits qui^Composent lès volumes intitulés' «Chez nous» et «Plus à l’est»,
mais surtout les romans plus étendus «Les illuminés» et «Le flotteur de bois», attestent une conception plus
noble, le sentiment des choses élevées et une charmante veine d’humour, dont l’auteur est malheureusement
trop ménager. Une nouvelle en forme de lettres, intitulée «Anor» (Parchemins), mérite une mention
spéciale, parce qu’elle prouve qu’Ahrenberg sait, au besoin, ourdir très finement la trame d’un récit.
L ’écrivain qui représente le mieux le groupe en question, e s t K a r l A u g u s t T a v a s t s t j e r n a (né en 1860).
Il en e s t a u s s i le plus fécond et le plus varié- il a produit des poésies lyriques, des drames et des romans
remarquables en leur genre. Il ouvrit la v o i e à la nouvelle poésie par deux volumes de vers,
«Brises du matin» et «Nouveaux vers»; il y ajouta plus tard un troisième recueil, «Dikter i vântan»
(Poésies e n attendant mieux), et à chaque fois il se montre plus maître, du langage poétique moderne.
Mais ce qu’il dit le mieux dans cette langue, ce n’est plus tant les émotions ' du patriotisme ou les autres
sentiments élevés qui avaient jusque-là fourni des Inspirations à la poésie lyrique, c’est plutôt les divers
états d’âme du moi aspirant à la jouissance, et il a pour l e s p e in d r e des couleurs et des tons d’une délicatesse
merveilleuse. Aussi n’est-ee pas sans peine qu’il a pu, dans une pièce intitulée «Les affaires»,
s’astreindre à la fermeté de dessin et à la rigueur de logique que le drame exige dans la peinture des
caractères et dans le développement de l’action; ses autres essais dramatiques ne sont que des esquisses
de situations, où manquent trop le dessin et l’action. Où la fantaisie de Tavaststjerna se joue le plus
à l’aise, c’est dans le roman, la nouvelle, si on peut donner ce nom à ne genre narratif moderne dont
la narration est précisément le côté faible. Déjà dans le premier récit de cette espèce qu’il publia, «Les
amishd’enfance», on trouvait une quantité de ces descriptions brillantes qu’on a appris à admirer dans
les écrivains danois; mais il y avait plus, et les destinées du héros, les situations à travers lesquelles
l’auteur le conduisait, étaient intéressantes et semblaient pleines de promesses pour l’avenir. Le volume
suivant, «Un homme du pays», était avant tout une analyse de sentiments, mais il constituait en même
temps une tentative intéressante de caractériser les différents partis intellectuels en Finlande, bien que
plutôt par rapport au tempérament qu’aux tendances et aux idées. La matière du roman «Les temps
durs» est empruntée aux épisodes de l’année de disette 18 6 7— 18 6 8 ; aux prises avec ce sujet, l’auteur a
dû comprendre combien i l est difficile au sensualisme même le plus délicat, mais qui n’a que le but et
les moyens du naturalisme, sans principes plus élevés, de représenter une société en lutte contre le destin.
Où Tavaststjerna a peut-être le mieux réussi, c’est dans dans de petites esquisses, successivement réunies
en volumes («I fôrbindelser», «Marin och genre», «I unga âr»); 011 y trouve de ravissantes études, peintes
avec un art achevé, de la vie dans les villes, aux bains, au bord de la m e r . — Mademoiselle A l e x a n d r a
G r ip e n b e r g (pseudonyme Aarne, née en 18 5 7 ) a em p lo y é avec talent la nouvelle façon d’écrire pour
exprimer ses sympathies dans le débat des langues (recueils de nouvelles intitulés «Strân», «I tâtnande
led»). Du reste, les femmes n’ont pas hésité à faire acte d’adhésion complète aux nouvelles tendances;
il suffit de citer Mme In a L a n g e (née Forsten) et Mlle G e r d a v o n M i c k w i t z . Une étude attentive de
la réalité, à la façon des peintres, en même temps qu’un art plus sûr dans la narration et un style plus
simple, marque d ’u n cachet à part les nouvelles de H e l e n a W e s t e r m a r c k (née en 18 5 7 ) . Parmi les
plus jeunes écrivains il faut mentionner K . V. Z il l ia c u s (né en 18 5 5 ) , dont les «Histoires d’émigrants»
sont pleines d humour, et surtout M i k a e l L y b e c k (né en 18 6 4 ), qui, dans ses poésies lyriques, ses nouvelles
et ses' esquisses, montre à un haut degré les qualités et les défauts de l’école; il y a lieu d’espérer
pourtant que, se délivrant du parti pris, il s’élèvera vers un monde plus lumineux d’idées et de sentiments.