La création de ce journal était rendue possible par le réveil de la vie politique et par le souffle de
libéralisme qui avait commencé à se faire sentir depuis l'avènement d’Alexandre II. Mais aussi la façon
dont ce journal était dirigé en faisait quelque chose de nouveau en Finlande. A E d va rd B ergh, qui en
avait été le rédacteur en chef pendant les premières années, succéda R o b er t L a g erbo rg (1835—-1882).
C’est grâce à lui que la Finlande eut son premier journal sur le modèle européen, un organe qui se
donnait pour tâche de fournir des informations rapides et correctes sur ce qui se passait dans le- pays
et à l’étranger — on y fit usage du télégraphe dans une tout autre mesure qu’auparavant, — de porter
un jugement sur lès productions de la littérature et des beaux-arts, de faire connaître à ses lecteurs les
courants d’idées les plus remarquables du temps, et, par-dessus tout, de défendre la cause des idées
libérales. Indépendamment de toutes différences d’opinion, le Helsingfors Dagblad, tel que Lagerborg
l’avait fait, devint le modèle que tous les grands journaux de notre pays s’efforcèrent d’atteindre, souvent
sans y réussir. C’est ainsi qu’un ami même d’un des concurrents du Helsingfors Dagblad, le Morgonbladet,
laissa un jour échapper cette réflexion mélancolique: «Ce que le Dagbladet contient-aujourd’hui,
on le lira dans le Morgonbladet demain!»
Mais ce qui contribua puissamment aussi au succès du Dagbladet, c’est que ce journal se- trouvait
placé dans des conditions qui n’étaient pas également accessibles à d’autres journaux venus plus tard.
Lagerborg lui-même et son fidèle collaborateur A nders C hydenius se consacrèrent complètement à leur
profession de publicistes, ce qui donnait au journal une grande solidité: Lagerborg avait un remarquable
talent d’organisation, Chydenius était toujours prêt à fournir l’article, de fond. D’un autre côté, par le
fait même qu’il y avait encore si peu de journaux rédigés par des journalistes de profession, le principe sur
lequel avait reposé jusque-là le journalisme n’avait rien encore perdu de sa force dans l’esprit des amis
du progrès: à savoir, que pour quiconque était en mesure de contribuer au bien public, c’était un devoir
de prendre part au travail de la presse. C’est en vertu de cette opinion que le Dagbladet put compter
sur la collaboration d’un grand nombre d’hommes de talent, jeunes et vieux, ce qui* d’une part, lui assurait
une abondance de matières variées, et, de l’autre, fortifiait son autorité comme organe des opinions
qu’il défendait.
Cette situation dominante du Dagbladet eut pour conséquence que son premier concurrent, le Helsingfors
Tidningar, disparut bientôt. Topelius avait déjà quitté en 1860 la rédaction en chef, bien qu’il
y continuât une précieuse collaboration. En 1863, ce journal devint quotidien pour suivre l’exemple de
son concurrent, mais la tentative dépassait ses forces et il cessa de paraître en 1866.
Dans l’intervalle il s’était fondé une troisième feuille quotidienne* August Schauman, pressentant
les besoins d’une capitale en voie de rapide développement, fonda en 1864 le Hufvudstadsbladet. Petit
dans ses commencements et toujours à bon marché, mais croissant avec la ville, il est maintenant
le journal quotidien le plus grand et le plus répandu du pays, tout en restant fidèle à son rôle de feuille
d’annonces.
Le nouvel état de choses inauguré après 1860 eut naturellement aussi son influence sur la presse
de langue finnoise. Le Suometar commença, en 1863, à paraître deux fois par semaine; la même année
parut un second journal, le Helsingin uutiset, aussi deux fois par semaine; un troisième, le Pàivàtâr,
rédigé par E r n st L inder, une fois par semaine. Ces derniers ne durèrent guère; en revanche, le Suometar
devint quotidien en 1864. Mais il ne put soutenir ce tirage que pendant deux ans ; en 1866 il fut
réduit à deux numéros par semaine, puis disparut la même année. Pendant deux ans la capitale de la
Finlande n eut pas de journal finnois; une demi-douzaine de feuilles hebdomadaires paraissant en province
durent satisfaire à tous les besoins du public finnois.
La principale cause d’une situation si peu encourageante était la crise économique résultant des
années de disette. En effet, la presse finnoise a eu sous ce rapport à combattre des difficultés infiniment
plus grandes que la presse suédoise. Les journaux finnois s’adressent à un public de condition bien
inférieure à celle des lecteurs des journaux suédois, et dans ces classes sociales on est bien plus directement
dépendant de la situation économique générale. Et même dans les temps de prospérité, le prix
IX. L A PRESSE PÉRIODIQUE.
d’abonnement, qui n’est déjà pas élevé pour les feuilles suédoises, doit être maintenu très bas, si l’on
veut arriver à un tirage un peu considérable; ces ressources limitées entravent naturellement le progrès
technique des journaux.
L ’histoire de la presse finnoise montre bien en effet qu’un arrêt ou un recul a toujours eu pour
cause des 'obstacles extérieurs ou des difficultés pécuniaires, bien plus que le défaut de forces intérieures.
Aussi une nouvelle ère commence-t-elle pour cette presse après 1870.
Nous rendrons ces circonstances sensiblës par des chiffres.
En 1820 la Finlande n’a qu’une feuille périodique en finnois et trois en suédois^ Dix ans plus tard,
la proportion est de deux à six, et en 1840, de trois à dix. En 1850, le nombre des journaux suédois
est descendu à neuf; celui des journaux finnois est de quatre. En 1860 les deux langues ont chacune
quatorze organes. En 1870, la supériorité numérique est de nouveau aux journaux suédois: dix-sept
contre, douze.
— On voit là l’effet des années de disette. Mais en 1880, les journaux finnois sont au nombre de
trente-quatre contre vingt-trois suédois, et en 1893, de soixante-dix-neuf contre soixante-six.
Si l’on compare la somme annuelle des numéros parus, la proportion est toute différente. En 1860,
alors que le nombre des journaux était pareil dans les deux langues, les suédois publiaient 1,560 numéros,
les finnois, 620 seulement. En 1880, il y avait encore 3,100 numéros suédois contre 2,100 finnois; actuellement
(1893) les journaux finnois ont la supériorité avec 6,300 numéros contre 5,400.
Ainsi donc, dans les vingt dernières années le nombre des journaux suédois et de leurs numéros
a à peu près quadruplé, tandis que dans le même espace de temps le nombre des journaux finnois est
devenu presque sept fois plus grand, et ils publient un nombre décuple de numéros.
L ’amélioration des conditions économiques n’est pourtant pas la seule cause de cette augmentation.
Les progrès de l’instruction primaire et le rapide développement des communications y ont contribué
pour beaucoup. Mais surtout une plus grande intensité de la vie politique a accru l’intérêt pour la presse
et le besoin qu’on avait de journaux. Plus les discussions sont devenues vives, surtout dans la question
des langues, mais aussi sur d’autres sujets d’intérêt général, plus on a vivement éprouvé dans différentes
parties du pays le besoin d’organes publics représentant les différentes nuances d’opinion; c’est ainsi que
sont nés des journaux toujours plus nombreux, défendant non seulement les intérêts spéciaux des populations
suédoise et finnoise, mais aussi des opinions plus ou moins conservatrices ou libérales.
C’est aussi l’état aigu où étaient arrivées les discussions sur certaines questions brûlantes, qui fit
perdre peu à p eu au «Dagbladet» sa position dominante. Ce journal s’était posé pour programme de
donner le pas aux questions sociales et politiques sur les débats de langues. Mais cette attitude ne
pouvait plus satisfaire ceux qui voulaient défendre plus énergiquement les droits de la langue suédoise.
Après avoir essayé d’une feuille hebdomadaire, le Vikingen (1870— 1874), on fonda en 1883 Ie journal
quotidien Nya Pressen (rédacteur en chef: A x e l L i l l e ), autour duquel se groupèrent les hommes de cette
fraction de l’opinion. Cette scission de forces qui jusque-là avaient travaillé de concert, affaiblit la situation
du «Dagbladet» ; en outre, la mort de Lagerborg fut suivie de fréquents changements de rédacteur
en chef. Toutes ces circonstances réunies firent que le journal dut cesser de paraître en 1889.
Le parti finnois avait fondé, en 1872, le Morgonbladet, rédigé en suédois, dans le but de représenter
son opinion auprès de la partie du public qui ne comprenait pas le finnois. Ce journal fut soutenu longtemps
au prix de sacrifices assez considérables et fut dirigé avec conscience par A u g u s t H a g m a n . Mais
les forces du parti ne suffirent pas à la longue pour soutenir en même temps ce journal et le journal
finnois Uusi Suometar, fondé en 1869; à cela s’ajoutait que les opinions ultra-conservatrices du «Morgonbladet
» lui aliénaient les sympathies d’une partie de ceux qui pensaient comme lui sur la question des
langues. C’est pourquoi il cessa de paraître en 1884. Il fut, il est vrai, remplacé l’année suivante par
le Finland, rédigé entre autres par l’infatigable publiciste A g a t o n M e u rm a n (né en 1826), mais il cessa
d’exister dès 1892.