Dans lés articles- de littérature et de critique du «Morgonbladet», auxquels Runeberg donnait souvent
une forme d’une ironie incisive, il établit sa; situation par rapport à ses prédécesseurs et à ses contemporains
dans la littérature suédoise. Il n’y a que trois auteurs, Franzén, Madame Lenngren et Almqvist
qiv’il admire sans trop de réserves. La -poésie des académiciens lui paraît trop raisonneuse ou trop rhé-
toricienne; if trouve celle des romantiques peu sérieuse, fausse et malsaine. Il se place sur le terrain
d’un réalisme ra d ic a l, qui repousse toute tentative d’ennoblir la réalité: cette réalité, le poète doit seulement
la mettre en lumière, et, dans c e but, il peut exclure de l’image qu’il en donne tout ce qui est
fortuit, accidentel ou trouble, tandis qu’il conserve- et développe l’idée qu’il a vue dans le phénomène:
ce sont là les seules modifications qu’il puisse se permettre. Mais ce que Runeberg entend par la réalité,
ce n’est pas seulement l’écorce extérieure,. palpable des choses, mais plutôt cet ordre intérieur, cette
direction qui régit l e s réalités;, et que les yeux de l’homme n’aperçoivent pas toujours, plongé qu’il est
dans les chagrins, dans les soucis de la vie, mais que justement la poésie doit révéler à ses regards.
Cette conception est donc un idéalisme élevé, presque religieux, mais qui se concilie parfaitement avec
-la to u rn u r e réaliste de son génie. «La nature», dit:il dans une de ses dissertations académiques, «est
un hymne au Créateur et de cet hymne, qu’entend celui qui sait écouter, la poésie est un écho». Dans
là vie humaine aussi, l’ordre établi est bon,
car la direction qui régit le tout est divine,
progressive. Les choses de la terre rie sont
pas mauvaises en soi,, c e n e ,sont que'des
phénomènes bornés 'par lesquels l ’idée du
divin se manifeste et sans lesquels elle ne
serait ni visible, ni belle. L ’enfer même,
-dit-il, ne peut que montrer combien grande
et merveilleuse est l’oeuvre du Créateur.
Cette doctrine de l’harmonie, Runeberg
lui donna plus tard sa plus haute expression
dans son poème «Le roi Fialar».
C’est dans cette doctrine qu’il a puisé l’idée
religieuse qui fait le fond du dernier récit
publié par lui dans le «Morgonbladet», «Lès
lettres du vieux jardinier» ; là sa prose, d’ordinaire
un peu raide, est aisée et inspirée comme ses vers. Ces lettres contiennent l’histoire d’une jeune
fille, la fille du jardinier, laquelle, ayant quitté, à l ’o c c a s io n de sa confirmation, le monde des fleurs au
milieu desquelles il l’avait élevée, y revient après sa confirmation toute pénétrée de la sombre doctrine
du piétisme sur la perdition, le diable, le monde et la chair. Ainsi cet ouvrage, le seul où Runeberg
ait abordé une des questions du jour, contient une vive attaque contre le piétisme. Lars Stenbâck y
répondit et il s’ensuivit une polémique qui fut pour Runeberg l’occasion de pénétrer plus profondément
dans ces questions et de préciser son point de vue. Par sa réponse à Stenbâck, par les poésies en
forme de légendes datant de cette époque, par ses discours d’installation et de recteur au lycée de Borgâ,
on voit que la conception antique et la conception chrétienne de la vie s’étaient fondues dans son esprit
en une doctrine conforme à sa nature saine et à son réalisme de bon aloi. L ’antiquité, à qui il devait
la précision et la grandeur simple de son style, lui a v a i t donné aussi cette vue lumineuse de la vie, sa
croyance a la pi ésence dù divin dans les choses ; d’autre part, il devait au christianisme une vie spirituelle
plus profonde, une ardente sympathie pour l’humanité, l’espoir assuré que le mal, vaincu par la
loi d amour du Christ, disparaîtra de la terre. C’est dans cette foi qu’il se fit consacrer pasteur en
1838, en même temps que Lille; sa raison était qu’en qualité de «lecteur» il était membre de la direction
du diocèse; mais il n’exerça pas le saint ministère.