Dès ses premières poésies, Topelius apparaît comme un poète par la grâce de Dieu, né avec ce
divin langage sur les lèvres qui sait dire tout ce que le coeur espère, aime et souffre. Sans doute au
commencement il cherche un appui chez les autres, Franzén, Runeberg, Almqvist, les chansons populaires;
les airs de danse même prêtent une forme à ses inspirations, et surtout il tâche de s’approprier
le vers épique finnois, mais doit bientôt reconnaître que cette forme est trop monotone pour la richesse
de sa veine lyrique. Plus tard encore, quand quelque oeuvre poétique le séduit, comme par exemple le
«Hvi suckar det sâ tungt i skogen?» (Pourquoi la forêt gémit-elle si douloureusement?) de Malmstrôm,
son génie infiniment souple et réceptif s’empresse de se l’approprier. Toutefois, il s’était fait de bonne
heure un style à lui: vers 1845 déjà, dans des morceaux comme les «Lârkrôster» (Chants d'alouette) et
«O lât mig lefva en liten tid» (Oh! laissez-moi vivre un temps), on le trouve én pleine possession de
ce style infiniment souple, fait des mots les plus harmonieux, des expressions les plus colorées, des
tons les plus tendres, et qui s’adaptait si parfaitement aux émotions légèrement mélancoliques de son
âme douce. Comparé à ces formes exubérantes et moelleuses, le lyrisme de Runeberg paraît presque âpre
et froid; Topelius rend le ton, l’impression avec plus d’abondance et de vivacité, mais il n’a pas. la vigueur
de pensée de Runeberg, et quand il sort du cadre de la peinture d’impressions, il à recours au
récit, au tableau de genre, et, dans les derniers temps, à la méditation.
Il montra bientôt quel émploi il allait faire de ce charme de la forme et à quels sujets il voulait
surtout l’appliquer. Les violences de la passion étaient aussi étrangères à la douce nature-de Topelius
qu’à celle de Franzén; les quelques pièces passionnées qu’il a écrites, il les doit plutôt à l’influence
d’Almqvist. On ne trouve pas non plus dans son-oeuvre beaucoup de motifs'érotiques de nature personnelle;
son amour n’est guère qu’un soupir de tendresse, un désir de tout sacrifier, et s’adresse, comme
chez Franzén, moins à une personne en particulier qu’à la femme en général. Il a aussi, il est vrai,
chanté l’amour perdu, l’amour déçu, mais seulement commé un souvenir doux et mélancolique. Il est
exquis dans la peinture du coeur féminin, les émotions de joie et d’espoir d’une jeune mère, mais surtout
les fines nuances de l’âme des jeunes filles; aussi a-t-il dédié aux jeunes filles de Finlande le premier
recueil des «fleurs de bruyère pâles et roses, humides de rosée, toutes fraîches dans leur parure d’été».
En retour les jeunes filles de Finlande ont toujours eu pour lui un culte fidèle. La fémininité caractérise
sa muse, comme la virilité celle de Runeberg; ce caractère se marque dans la pureté, la délicatesse, la
piété du sentiment, comme dans l’abondance moelleuse du style, et dans l’esprit de renoncement et de
sacrifice qui anime toute son oeuvre. Qu’est-ce que sa célèbre «chanson d’étudiants» sinon l’effusion de
l’amour le plus désintéressé ayant la science et la patrie pour objet, et Ses «Ynglingens drômmar» (Rêves
de l’adolescent) ne sont en définitive pas autre chose!
Guidé par Cygnaeus et Runeberg, nourri de poésies populaires et d’études historiques, Topelius
vit bientôt dans la patrie un des plus beaux et des plus dignes sujets de poésie: il chante son nom, ses
destinées, ses souvenirs, ses plus nobles fils alors qu’ils lui sont enlevés par la mort, mais aussi les
ouvrages pratiques servant à sa prospérité, par exemple «Le canal de Saima»; et si parfois il aborde
quelque sujet étranger, c’est, comme dans «Le tombeau de Napoléon», pour montrer la Finlande déposant
avec recueillement un fragment de son granit sur la cendre de celui qui, à Tilsitt, décréta l’union
de la Finlande à la Russie. Car Topelius aussi, comme Cygnaeus, si chaud que soit son amour pour
le passé, accepte pleinement l’état présent des choses; il voit dans les événements de 1809 une intervention
de la Providence pour amener le développement merveilleux de la nation finlandaise; il y a pourtant
cette différence entre eux que Topelius ne s’est jamais exprimé agressivement contre l’ancien gouvernement
du pays.
Cet amour du pays embrasse aussi le sentiment de la nature finlandaise; il doit à cette inspiration
quelques-uns de ses plus charmants motifs, des tableaux d’un sentiment infiniment tendre et doux, mais
frais aussi et joyeux. Les impressions du pêcheur au lever du jour, la course du patineur, la nuit,
pour rejoindre sa fiancée, les raquettes glissant sur la neige, et le printemps, le printemps surtout, sa
saison favorite, avec sa débâcle des glaces, l’éclosion du feuillage, la lumière étrange de ses soirs: ce
sont là des motifs dont le choix atteste une bonne humeur qui peut se traduire aussi en une conception
plaisante des manifestations de la vie humaine. Dans aucun autre de nos poètes le sentiment de la nature
ne trouve des expressions aussi infiniment variées que dans Topelius ; et cependant le fond de son inspiration
est sérieux et un peu mélancolique: il le dit lui-même dans une parole empruntée au Kanteletar:
«la poésie est née de la douleur»; et ce sérieux a sa source première dans le sentiment religieux, qui
inspire toute sa poésie et lui fait porter ses regards vers le ciel pour y trouver l’apaisement des luttes
de la vie. A ce sentiment religieux se subordonne l’amour («Qui est la lumière de ta vie?»); l'enthousiasme
religieux est la note dominante dans la contemplation de la nature («La ceinture d’Orion», «La
voie lactée»); et c’est de ce fond religieux que naît chez le poète un penchant au merveilleux: la voix
de Dieu parle même au coeur du loup et l’arrête au moment où il va se précipiter sur l’enfant sorti, le
soir de Noël, pour voir l’étoile de Jésus («Noël dans le désert»). C’est là enfin la source d’où jaillit en
grande partie le romanesque qui, à mesure qu’il avance dans la carrière, caractérise de plus en plus son
oeuvre poétique.
C’est des «Fleurs de bruyère» que nous avons tiré ces traits caractéristiques du génie de Topelius.
mais ils se retrouvent presque partout dans sa poésie, même après le grand changement survenu en
elle vers 1855. L ’inspiration devient alors moins immédiate; elle est remplacée par une philosophie qui
n’est exactement ni du Symbolisme ni de l’allégorie, trop réfléchie pour l’un, trop flottante pour l'autre