philosophie, toujours aussi profond qu’inflexible dans ses opinions, fournissait de riches matériaux à la discussion.
De nouveaux membres se joignirent bientôt au cercles et parmi eux des hommes .qui devaient
jouer un rôle considérable dans notre histoire, comme Johan Jakob Nordstrom, Axel Adolf Laurel! et
Matthias Alexander Castrén dont il a été question dans d’autres parties de Cet ouvrage. Il ne faut pas
voir dans ces «veillées du samedi» une association formelle dans un but déterminé; c’étaient de libres
réunions, qui se continuèrent pendant plusieurs années, jusqu’à ce que Runeberg quitta Helsingfors. On
qe réunissait en toute simplicité, comme le voulaient les moeurs du temps et comme l'exigeaient d’ailleurs
les minces ressources pécuniaires de ces hommes d’avenir. Lorsque l’un ou l’autre se mit en ménage_
Runeberg se maria en 18 3 1 . — des.'-.-femmes commencèrent à prendre part aux réunions. A côté de
F r e d r ik a R u n e b e r g ( 18 0 7— 18 7 9 ) , A u g u s t a W a l l e n iu s , née Lundahl, mérite, par de gracieuses poésies
publiées dans les journaux et les albums, une placé, bien que modeste, dans notre histoire littéraire;
morte en 18 9 2 . elle a été la dernière survivante de ces «veillées du: samedi».
Si ce cercle put se maintenir si longtemps uni, on le doit surtout à Lille; plein de bonhomie, pacifique
et affectueux, | | était fait pour recevoir les confidences, des parties en lutte et pour s'entremettre,
quand parfois la discussion menaçait de dégénérer en discorde. Il étudiait la théologie, prit ses degi es
et devint professeur en 1840. Ses premières productions poétiques, composées dans "la manière de
Franzën, avaient paru dans les journaux et dans les publications de circonstance; chaud de coeur et
pourvu d’un fonds inépuisable d’admiration, il consacrait son talent à célébrer quelque événement public
ou privé, et, sans aucune prétention à l’originalité, il se réglait d’habitude sur quelque modèle connu
Cependant un changement notable se produisait dans la société desVeillées du samedi, à mesure
que ses jeunes membres devenaient mûrs pour la vie publique. La présence de Lônnrot, quand.il revint
de ses vo,vag es- peu après 1830, pour faire son doctorat en médecine, fit germer l’idée de fonder une
Société de littérature finnoise;: Nordstrom en rédigea les statuts, qui furent adoptés enAme séance générale
présidée par Linsén. Le premier projet d’une Société finlandaise des beaux-arts fut chaléureusement
accueilli par le cercle, et c’est de lui qu’est partie l’initiative de la fondation du Lycée’ de Helsingfors
(voir p. 177). Ainsi les sujets de préoccupation et de discussion n'étaient plus exclusivement poétiques
et littéraires; le patriotisme s’était éveillé dans leur âme, les intérêts nationaux, en première ligne l’intérêt
pour les. moeurs, la langue, la civilisation du peuple, avaient agi puissamment :sur leur esprit, R im e ,
après eux, ces intérêts devaient avoir une action profonde et générale sur la nation, ce patriotisme fut
dès lors la source la plus abondante de leur production littéraire.
Celui qui subit le moins cette influence, fut Nervander: il fit sa carrière des sciences, exactes, et
quant à sa poésie, elle continue à se rattacher à la période- précédente. A part un petit volume de
traductions des oeuvres lyriques du roi Louis de . Bavière, qu’il publia en 1830, ses vers rappellent la
mamère de Franzén et ne révèlent guère d’originalité. Habile à exprimer dans Une forme châtiée des
impressions du moment ou des réflexions d’une portée générale, on trouve rarement dans. ses oeuvres
une inspiration patriotique. La poésie, pour lui, c’est l’empire du rêve, où le poète est souverain et d’où
le monde parait laid et prosaïque, tandis qu’au contraire la réalité est une déesse, assise, calme et
majestueuse, sur un trône de granit, tenant là la main une corne d’abondance èt régnant sur un empire
ouvert au savant, mais où le poète n’a pas accès («Rêve et réalité», -Poètes»), Cette conception est
absolument opposée à celle de Runeberg; elle montre que, chez Nervander, l’homme de science prévalait
déjà sur le poète.
Heureusement il ne déposa pas sa lyre avant d’avoir achevé son poème «Le livre de Jephté»,
qu il avait commencé à Àbo alors qu’il étudiait les langues orientales. C’est son chef-d'oeuvre et une des
plus belles oeuvres de notre littérature. Dans les onze chants de ce poème, il nous montre, d’une part
les tribus d’Israël marchant en armes.contre les Médianites au temps de Samuel, d’autre part les femmes
réunies pendant ce temps sur les monts de Galaad et pleurant, selon une antique tradition, sur le: sort
de la fille de Jephté. L ’humble destinée de la femme, vouée à l’obscurité et au sacrifice mise en
contraste avec la carrière de l’homme, toute d’action et d’éclat, telle est l’idée que le poète développe
a v e c b e a u c o u p de suite et avec un a r t très sûr. Le poème est tout entier pénétré d’un sentiment à la
fois délicat et fort, on y trouve d e s émotions tantôt douces, tantôt ardentes, de nature purement humaine
pu éveillées par le spectacle du monde extérieur, le tout baignant dans une atmosphère biblique. Le
poète rend avec un talent admirable, en une langue sonore et en vers harmonieux, le ton et la pensée
de la Bible. ....
Toutefois; l’inspiration est sensiblement moins puissante dans les derniers chants et il est possible
que le poème n’eût -jamais é t é achevé, si' Nervander n’avait pas eu l’idée de présenter «Le livre de
Jephté» au concours de l’Académie suédoise, comme Runeberg avait fait, l’année précédente, de «La
tombe de Perrho». L ’oeuvre de Nervander obtint en effet le second prix en 1832. Il était alors en
r o u t e pour l’étranger; il avait, en effet,/obtenu u n e b o u r s e considérable de l’Université. Au cours de ce
voyage, qui dura quatre ans, il écrivit d’une p lum e vive et spirituelle dès lettres et des notes où l’on
trouve consignés_les incidents de la route, surtout des descriptions de paysage; il raconte aussi ses visites
à,.des hommes illustres ou à des 'lieux célèbres, il se rappelle les amis laissés au pays, mais il ne paraît
plus s’intéresser à la poésie. De retour au pays, il consacra to u t e sa grandè énergie aux recherches de
physique et de météorologie; dès lors il ne reprit plus que rarement sa lyre, et jamais avec la même
liberté qu’autrefois.
- Tout autrement profonde fut l’influence de l 'am o u r d e la patrie sur l’inspiration poétique de
R u n e b e r g . Le sentiment patriotique s’éveilla plus tôt chez lui que chez aucun autre membre de son
cercle d’amis. Il avait acquis dans sa province natale. de l’Ostrobothnie, où s’était .écoulée son enfance,
l’in t e l l ig e n c e et le goût de la nature ; la chasse et la pêche les avaient de bonne heure développés en
lui; et c’est dans cette liberté de la vie en plein air, dans ce commerce familier avec la nature, qu’il avait
puisé- la connaissance vivante dé ses manifestations qui marque toute sa poésie. Plus tard, lorsque,
jeune étudiant, il passa les années 1824 et 1825 à Saarijârvi et à Ruovesi comme précepteur, le spectacle,
nouveau pour lui, des paysages de l’intérieur et surtout la fréquentation de la population finnoise qui
vivait au sein-de cette nature et qui lui avait été étrangère jusque-là, fut pouf lui, grâce à cette pénétration
d’e coup d’oeil, à cette ouverture d ’e sp r it , la source dé fortes impressions^ Élevé sur là côte, au
milieu d’une population de langue suédoise, Runeberg n’a jamais bien su le finnois, mais il n’en connut
pas moins; par une merveilleuse intuition, la nature intime du peuple; il pénétra par la sympathie les
particularités de ses sentiments et de ses moeurs, de sa poésie et de ses légendes. Dans le même temps
et les mêmes lieux* il subit encore des impulsions patriotiques d’un genre différent en écoutant le récit
des épisodes de la dernière guerre, dont le souvenir vivait encore dans les campagnes et dans la famille
où il était précepteur. Il nous a dit lui-même, dans la première pièce des «Fânrik Stâls Sàgner» (Récits
de l’enseigne Stâl), comment la fréquentation de vétérans de 1808, leurs r é c i t s et leur personnalité, éveillèrent
en lui le sentiment de la patrie.
En même temps, il était arrivé à la pleine possession de son art. On le vit bien dans le premier
volume de «Poésies» qu’il publia en 1830. A côté des «Nuits de jalousie» et des pièces composées
à Àbo et à Pargas, où on perçoit un écho de Franzén et d’autres, tantôt réminiscence inconsciente,
tantôt imitation inspirée par l’émulation, on trouve dans ce volume des morceaux où le poète est déjà
pleinement lui-même: tels sont en particulier les petits tableaux champêtres réunis sous le titre de
«Idylles et Épigrammes». Pour sentir combien la veine populaire s’allie dans la poésie de Runeberg
avec la plus grande perfection de la forme, on n’a qu’à se rappeler le morceau de ce recueil qui commence
par «Hôgt bland Saarijârvis moar» (Bien loin sur les landes de Saarijârvi). Dans le second
volume de «Poésies», datant de 1833, le poète nous donne encore de ravissants tableaux de genre; mais
même dans les grands morceaux de ce recueil, on constate une certaine préférence pour les sujets
empruntés à la vie du peuple («Lé petit paysan», «La servante», «La fille du matelot», etc.); mais le
caractère national de la poésie de Runeberg gît bien plus profond que dans le simple choix de sujets
populaires. C’est dans son style même, ce réalisme calme et serein dont il a trouvé le secret dans la
poésie antique, que le caractère national trouve sa plus haute expression. Il s’y révèle dans une sobriété