qui fait que le sentiment, si puissant qu’il soit, ne tombe jamais dans la rhétorique, une conception de
la réalité tempérée, conciliante, jamais violente ou sensuelle, un ton à la fois viril et doux, qui semble
se jouer entre la plaisanterie souriante et la mélancolie, tout cela exprimé dans une langue aussi simple
et forte que riche en images naturelles, dans un vers aussi harmonieux qu’impeccable. Les morceaux
lyriques où se révéla d’abord son style propre, «Le cygne», «Que je suis heureux», «Au bord d’une
source», «A dix-sept ans», «Qui t’a conduit ici?», «C’était alors», pour ne nommer que ceux dont l’inspiration
est empruntée aux sentiments des classes cultivées, sont devenus familiers à un cercle toujours
plus étendu de lecteurs: cela seul atteste combien la poésie de Runeberg est nationale au sens élevé où
nous entendons ce mot.
Au premier volume de vers succéda «Grafven i Perrho» (La tombe de Perrho), où se fondent en un
L e s c h a s s e u r s d’é lan s , par L. S p a r r e .
seul les deux courants d’inspiration nationale: la vie du peuple et les souvenirs guerriers. Cette histoire
Saisissante du paysan Hane et de ses six fils qui se lèvent en armes contre l’ennemi dévastateur, fut
écrite dans l’automne de 1831. Runeberg l’envoya aü concours de l’Académie suédoise, qui lui décerna
seulement son second prix; le poète fut sans doute un peu froissé de ce jugement. Le réalisme du
style de Runeberg, ses descriptions de la vie du peuple, étaient quelque chose de si nouveau, qu’ils firent
probablement sur les juges une impression d’étrangeté, en même temps qu’ils furent saisis par la chaleur
du sentiment patriotique dont le poème est pénétré. Et l’on ne peut pas nier qu’il n’y ait dans ce poème
une certaine contrainte, quelque chose de forcé, surtout si on le compare à «Molnets broder» (Le frère
du nuage), un produit de la même inspiration, mais composé quatre ans plus tard: Ici la touche est
plus large, l’héroïsme patriotique trouve une expression beaucoup plus libre.
En même temps que- ces travaux, il avait remis sur le métier son grand poème intitulé «Elgjagten»
(La chasse à l’élan);; c’est dans cette oeuvre qu’après son retour à Âbo, en 1826, il avait revêtu d’une
forme poétique..les impressions qu’il rapportait de son séjour au milieu d’une population finnoise. Avec
un talent mûri et un admirable empire sur lui-même, il reprit morceau par morceau le poème déjà achevé.
Au motif principal, la grande chasse à l’élan arrangée chez «le très honoré commissaire», il ajouta un
épisode d’amour, le hardi Mathias, le chasseur d’ours de Kuru, faisant la cour à Hedda, la fraîche jeune
fille, servante au château. Il introduisit une quantité de personnages et d’incidents nouveaux, entre autres
une excellente peinture d’une troupe de colporteurs archangélites, ces congénères russifiés du paysan
finnois. H arriva ainsi à donner de la vie du peuple un tableau d’ensemble si artistement composé, qu’il
_ éveille dans: toutes ses parties l'impression de la réalité vivante. De son premier travail, il conserva la
forme de l’idylle, l’hexamètre, les descriptions minutieuses, les épithètes épiques; quant à ces dernières, il
L e s c h a s s e u r s d’é lans, d’après un tableau de R. V. Ekman.
ne les avait nullement empruntées à Voss ou à Goethe: il avait pris directement pour modèles les maîtres
de l’antiquité. Le poème, tout riche qu’il est en détails, n’est jamais fatigant ni commun, car le poète se
montre toujours pénétré d’une chaleureuse sympathie pour les traits élevés de la nature du peuple, tel
qu’il a appris à le connaître, son coeur pieux, content, secourable au pauvre, l’antique simplicité de ses
moeurs, le caractère à la fois sobre et poétique de son langage, qui permettait au poète d’orner les discours
de ses personnages des métaphores les plus ingénieuses, pendant que l’humour exquise avec laquelle
il reproduit ces scènes de la vie réelle, répand sur l’ensemble comme la lumière d’un sourire.
La forme de l’idylle est plus spiritualisée encore dans les deux poèmes «Hanna» (1836) et «Julkvàllen»
(La veille de Noël, 1842). Ces poèmes ont chacun trois chants. L ’auteur y peint la vie des classes
cultivées dans les campagnes, au presbytère et au château, ces deux foyers de la civilisation suédoise au
sein des populations rurales. Son style national atteint là son plus haut degré de perfection. Dans