Lörinrot avait quitté la chaire de finnois avant même d’avoir commencé la publication de son grand
dictionnaire. Son successeur fut A u gust A h lq v ist (1826— 1889). Subissant l’influence du jeune réveil
national, Ahlqvist avait, encore adolescent, publié en finnois des vers et des manuels d’enseignement.
Le travail littéraire auquel s’adonnait le jeune poète à cette époque de réforme de la langue littéraire,
le conduisit à s’occuper de linguistique finnoise, et bientôt il résolut de se vouer tout entier à la science.
Suivant l’exemple de Lônnrot, il avait, encore jeune étudiant, recueilli des runes et étudie des dialectes,
soit en Finlande, soit dans le gouvernement d’Archangel; en 1854, ayant obtenu ses grades universitaires,
il entreprit le long voyage qui devait durer jusqu’au commencement de 1859, avec une seule interruption,
très courte. Il visita d’abord les parents les plus proches des Finnois, les Votes de l’Ingrie, les
Estes de l’Esthonie et de la Livonie, les Vepses du gouvernement d’Olonetz. Ainsi préparé, il se rendit
chez les populations finno-ougriennes du
Volga, les Morduins et les Tchérémisses,
et visita aussi les Turco-Tatares habitant
ces contrées. Il poursuivit son voyage
jusqu’en Sibérie, où il étudia les langues
des Vogoules et des Ostiaks. Plus , tard
encore, après un long intervalle, Ahlqvist
se remit en route (en 1877 et en 1880)
pour compléter ces dernières recherches.
Il a consigné ses observations dans des
ouvrages fort intéressants intitulés Souvenirs
de voyages en Russie (en finnois) et
Unter den Wogulen und Ostjaken.
Les principaux résultats scientifiques
des travaux d’Ahlqvist sont: Grammaire
vote, accompagnée de textes et d’un vocabulaire
(1856), De la littérature esthonienne
moderne (Suomi 1855, en finnois), Notes
sur le tchoude du nord (1861), ces derniers
ouvrages formant le complément des travaux
de Lônnrot sur la même matière,
enfin Versuch einer mokscha-mordvinischen
Grammatik nebst Texten und Wörterver-
zeichniss (1861). Après cela Ahlqvist ne
August Ahlqvist. Put reprendre la publication des résultats
de ses voyages qu’au bout d’une vingtaine
d’années. En 1880 parut Ueber die Sprache der Nord-Ostjaken I (textes et vocabulaire); enfin, après sa
mort, un Vogulisches Wörterverzeichnis, dont il avait encore pu achever le manuscrit.
Ce qui empêcha Ahlqvist pendant tant d’années de poursuivre ses recherches sur les idiomes apparentés
au finnois, ce furent les devoirs de son professorat, qui l’astreignait à consacrer tout son temps
à l’étude et au développement de la langue finnoise. Sa thèse de professorat, intitulée Prosodie finnoise
au point de vue linguistique (1863, en finnois), est le premier exposé complet de la versification des
anciennes poésies; l’auteur y traite aussi des règles de la poésie finnoise moderne. Dans ses cours, il
commença un exposé systématique de la grammaire finnoise; la première partie en fut imprimée en
1877 sous le titre de La structure de la langue finnoise (en finnois). Dans cet ouvrage, l’auteur ne. se
limite pas au finnois: il cherche l’explication des faits de la langue dans -la comparaison avec d’autres
idiomes congénères. Ahlqvist fonda en 1871 une revue, le Kieletär (le Génie de la langue), qui a eu
une réelle importance, tant pour l’emploi pratique de la langue que pour sa connaissance scientifique.
Ahlqvist étudia avec prédilection les mots significatifs de l’état de civilisation, et il les employait
comme .des documents pour l’histoire de' la civilisation des peuples finnois. Le fond de sa théorie était
que si le nom d’un objet est emprunté, c’est qu’on a emprunté Xobjet lui-même, en d’autres termes, que
le nom accompagne l’objet. Ses recherches sur ce sujet furent publiées en 18 7 1 sous le titre de Mots
de civilisation des langues finnoises- occidentales (traduit en allemand en 1875). Cet ouvrage est à bien
des égards très ingénieux; on y trouve pourtant beaucoup d’hypothèses trop hardies.
Le Kalevala revenait souvent aussi dans les cours d’Ahlqvist. Il ne commença pourtant à publier
ses idées sur ce sujet qu’après la mort de Lônnrot et les débuts de Julius Krohn. Dans un travail intitulé
Études critiques sur le texte du Kalevala (1886, en finnois), il présentait quelques objections au texte
du Kalevala tel qu’il avait été établi par Lônnrot. L ’année suivante parut un écrit, Origine carélienne
du Kalevala (en finnois), où Ahlqvist cherche à résoudre la question de savoir par quelle tribu finnoise
et dans quel lieu le Kalevala a été composé. Malheureusement, dans cet examen Ahlqvist ne tint pas
compte des matériaux primitifs qui ont servi à reconstruire l’épopée, c’est-à-dire les variantes, qui seules
sont importantes pour la critique scientifique,
Dans ses recherches sur la langue finnoise, Ahlqvist avait en quelque sorte toujours en vue l’utilité
pratique. Le développement historique de la langue: n’était pas pour lui la chose principale. Il se
préoccupait surtout d’établir quelles formes devaient, selon les lois de,/la langue, être considérées, comme
correctes et devaient, par conséquent, être employées dans la langue littéraire. Sa méthode est' restée
purement comparative, sans s’élever à un point de vue vraiment historique.
A côté d’Ahlqvist, Ju lius K rohn (1835— 1888, agrégé de langue et de littérature finnoise en 1862,
lecteur de finnois à l’Université en 1875, professeur chargé de cours en 1885) déploya beaucoup d’activité
dans le même domaine, surtout après 1880; il est question de son oeuvre comme littérateur dans
une autre partie de cet ouvrage. Il- commença ses recherches scientifiques par l’étude de l’histoire de
la littérature finnoise. Son travail intitulé La poésie finnoise au temps de la domination suédoise (1862,
en finnois), donne un tableau fidèle de cette période peu favorable à la littérature finnoise. Son Histoire
du psautier finnois (en finnois) parut en 1880, alors que la composition d’un nouveau psautier finnois
était à l’ordre du jour. Dans ses cours, qui seront publiés, il a exposé l’histoire de la littérature finnoise
depuis Agrícola jusqu’à nos jours.
Les recherches de Julius Krohn se portèrent aussi sur cette littérature non écrite qui vit sur les
lèvres du peuple. Bientôt, en effet, ce fut sur le folklore finnois que se concentra son travail, que devait
interrompre une mort prématurée. De son Histoire de la littérature finnoise (en finnois et en suédois),
conçue sur un vaste plan, parut seulement la première partie, celle qui traite du Kalevala (1885). Il ne
put: pas achever non plus la publication des runes épiques primitives, Kalevalan toisinnot — Les variantes
du Kalevala; il n’en parut qu’un fascicule, les runes du Sampo.
Julius Krohn a fait entrer l’étude du folklore finnois dans une voie toute nouvelle. Non seulement
il l’éclaire d’un nouveau jour, mais il renouvelle la méthode des études folkloristes en général. La méthode
à laquelle il arrive peu à peu au cours de son oeuvre, est une. méthode histonco-géographique. Il
décomposait chaque aventure ou légende en ses traits constitutifs, puis, comparant toutes les variantes,
il tentait d’établir lesquels de ces traits appartenaient à la légende en question, lesquels avaient été modifiés
ou empruntés. Il comparait les variantes dans leur, ordre géographique, car il est prouvé que les
produits de la poésie populaire se propagent, non avec la langue, mais avec les moeurs, d’où il résulte
que le contact géographique est de plus grande importance en la matière que la parenté des langues.
C’est par cette méthode que Krohn chercha à déterminer les voies suivies dans sa diffusion par la poésie
populaire, la direction de ces voies, et les modifications que des causes psychologiques avaient fait subir
à la poésie au cours de ses pérégrinations.
Après ces grands noms de Castrén, de Lônnrot, d’Ahlqvist, de Krohn, nous devons faire mention
des hommes qui ont travaillé à leurs côtés, et de quelques savants de la jeune génération.