ville, comme «L’or fantôme» et «Mademoiselle Drifva», ou de la vie populaire, comme «Brita Skrifvars»
et «L’élection pastorale d’Aulango». Nous trouvons ici aussi en grand nombre de gracieux paysages,
des peintures de la vie émouvantes ou enjouées, des figures vivement dessinées, surtout de femmes et
de jeunes gens, mais dès que l’action se développe, elle tombe dans le romanesque d’aventures, comme
si l’auteur était poursuivi de l’idée qu’un récit ne peut intéresser s’il ne s’y mêle un élément de surnaturel,
d’étrangeté ou, au moins, d’exotisme. La forte action exercée sur l’auteur par les romanciers en
vogue de l’époque, Bulwer, Dickens, Dumas, explique la diversité de couleur et de ton dés . nouvelles et
peut aussi avoir influé sur la composition ; et quand, après 1860, les problèmes de morale s’emparent de
plus en plus de l’esprit de l’auteur, de plus en plus aussi la trame de ses fictions manque de réalité et
ses personnages, de vie et dë. consistance. Ces défauts sont le plus sensibles dans les deux dernières
nouvelles «L’élection pastorale d!Aulango» et «Rêves de jeunesse», mais surtout dans le roman historique
«Planeternas skyddslingar» (Les protégés des planètes), paru en 1886 en trois volumes, la dernière
oeuvre jusqu’ici du fécond romancier. La scène de ce récit se passe sous le règne de Christine et comble
une lacune dans la série des «Récits d’un chirurgien d’armée» : c’est donc un fruit de sa vieillesse que le
poète introduit ainsi parmi les enfants nés dans les beaux jours de son génie.
De .ses romans Topelius tira les drames qu’il écrivit à cette époque où les auteurs les plus distingués
de notre pays tentaient de créer une littérature dramatique indigène. Il dramatisa ainsi «Le vieux baron
de Rautakylâ» sous le titre de «Cinquante ans après» et le fit représenter en 1851. Deux ans plus tard
il donna «Regina voii Emmeritz», tragédie tirée du premier cycle des Récits d’un chirurgien; elle est
restée la première pièce de notre répertoire, grâce aux grands Souvenirs historiques qu’elle éveille et à
l’intérêt élevé du conflit des passions qu’elle met en scène; en 1858, il écrivit «Ett skârgârdsâfventyr»
(Une aventure dans l’archipel), joli vaudeville dont la scène, représentant la vie à la cour au dix-huitième
siècle, est transportée à Helsingfors; il fut composé et représenté au profit d’un fonds que les étudiants
rassemblaient pour bâtir leur «Maison». Plus tôt, en 1852, d’un sujet semblable tiré des Récits d’un chirurgien,
il avait fait, en y ajoutant le motif un peu trop sérieux d’un coup d’État, le.livret de. notre premier
opéra indigène, «Kung Caris jagt» (La chasse du roi Charles). Pour l’inauguration du Nouveau
théâtre, à Helsingfors, il' composa, sous le titre de «La Princesse de Chypre», une féerie où il tentait
l’entreprise impossible de fondre en un seul, dans les plus gracieuses redondilles, les génies si différents
de la poésie finnoise et de la poésie grecque. Enfin, de la saisissante nouvelle «Brita Skrifvars», il fit
pour la scène une étude de caractère réaliste; c’est la plus dramatique de ses pièces, peut-être justement
parce qu’elle ne comportait pas de longs développements. Le talent de Topelius, si habile à esquisser
un épisode, à peindre une scène, ne, se prête pas à développer patiemment un caractère, à motiver strictement
l’action, comme le drame l’exige.
A côté de la femme, c’est l’enfant qui a été lé sujet préféré de Topelius. Comme H. C. Andersen,
avec moins de profondeur peut-être, mais aussi moins de mignardise et plus de naïveté, il écrivit des
«Contes», dont quatre volumes parurent alternativement avec les «Fleurs de bruyère». Ensuite il fut
un collaborateur assidu aux journaux de l ’enfance «Eos», «Trollslândan» (La libellule) et «Nya Troll-
slândan» (La nouvelle libellule). ; Ainsi surgit toute une littérature adaptée à l’âme et à l’intelligence des
enfants, contes, récits, réflexions, chansons, jeux, scènes dramatiques; il commença en 1865 à les réunir,
avec les contes précédents, sous le titre de «Lâsning for barn» (Lectures pour les enfants): sept volumes
en ont paru et ont été en grande partie traduits en allemand et en danois. Les sujets en sont empruntés
aux contes populaires, à l’histoire, à la vie journalière, mais surtout à ce symbolisme naturel qui constitue
une veine si riche dans son imagination et dans son langage, et partout on y retrouve son âme
tendre, pieuse, patriotique, toujours noble et élevée. Si on admet avec Topelius que pour nos enfants
l’exquis n’est pas assez bon, on ne sera pas porté à estimer au-dessous de sa valeur cette partie de son
oeuvre. Il poursuivit encore cette mission éducatrice en concentrant tout son talent d’écrivain dans deux
livres de lecture destinés au premier enseignement, «Naturens bok» (Le livre de la nature, 1856) et
«Boken om vârt Îand» (Le livre sur notre pays, 1875).
Ayant obtenu, en 1847, le grade de docteur par une thèse sur le mariage chez les anciens Finnois,
Topelius fut' nommé en 1852 à une chaire au lycée de Vasa; dispensé provisoirement de s’y rendre, il
fut chargé, en 1854, d’un cours d’histoire de Finlande à l’Université; devenu titulaire de cette chaire en
1863, il a été recteur, de l’Université de 1875 à 1878. Il ne s’est pas adonné aux recherches scienti-
fiquês, mais le texte écrit par lui de deux . albums illustrés : «Finland framstâldt i teckningar» (La Finlande
illustrée, 1845— 1852) et «Un voyage en Finlande» (1877), est un témoignage digne de mention de
lâ||(çonnaissance- étendue qu’il avait de la nature de sa patrie, dè .son peuple et de son histoire. Après
avoir quitté ^Université, en 1878, il s’est retiré à la campagne, au bord de la mer, dans cet archipel
où il a toujours aimé à passer ses étés e n s e livrant au délassement de la pêche. Là, dans sa jolie
villa d e Bjôrkudden, il a continué à écrire, mais aussi. à prendre un intérêt actif à toutes les oeuvres
d’art et d’humanité : .la Société des artistes, l’Association des enfants pour la protection des oiseaux chanteurs;
la Société protectrice des animaux, l’Union chrétienne des jeunes gens. Objet de la vénération
et dp^lâ gratitude de s e s compatriotes, Topelius jouit dans tout le Nord d’une considération dont il a
r e ç u d e s témoignages précieux; en 1886, l’Académie suédoise, fêtant lé centenaire de sa fondation, lui
décerna son grand prix; il avait déjà reçu d’elle le prix royal en 1873.
F r e d r ik B e r n d t s o n (1820— 1881) avait commencé en même temps .que Topelius à attirer sur lui
l’attention du public. Venu en Finlande d’Upsal où il faisait ses études, il fut immatriculé en 1842 à
l’Université de Helsingfors, et il chercha loyalement dès lors à s’assimiler l’esprit de patriotisme qui régnait
alors. Deux essais de jeunesse avaient montré qu’il possédait une langue riche en fleurs de poésie.
Un troisième poème, «Les souvenirs du vétéran», est une. romantique histoire d’amour au milieu des forêts
de la Finlande; le mètre, imité des runes finnoises, et la nature sévère de Kyrôfors y modéraient un peu
l’exubérance de sa verve poétique. L ’oeuvre de Runeberg eut sur son talent une influence plus durable;
son style devient plus pur et plus viril; sa philosophie prend aussi quelque chose de la foi lumineuse de
Runeberg en la puissance du bien et du beau dans la vie de l’homme. Berndtson publia un grand
nombre de morceaux lyriques dans les albums cités plus haut, «Necken» et «Lârkan», ainsi que dans un
volume intitulé «Petits poèmes» (1846); il y traite sans grande originalité, mais avec goût et mélodieusement,
les sujéts ordinaires: la beauté mélancolique de la nature, le regret et l’espoir. La mission qui lui
fut confiée en 1847 dé; composer le poème des promotions, était une consécration de sa réputation de
poète; à cette occasion, il célébra en stances élégantes les souvenirs de la civilisation finlandaise. L ’enthousiasme
est étranger à la nature de Berndtson, et son patriotisme ne fait pas une grande impression
de profondeur et de spontanéité («Chant de printemps», «Salut à l’année nouvelle»). La femme même,
qui occupe dans son oeuvre une place bien plus importante que la patrie, n’excite pas en lui, homme
chez Topelius, un sentiment enthousiaste; c’est- à sa nature même qu’il adresse ses hommages, c’est à
sa destinée et à sa condition sociale que va sa-sympathie. Il revient souvent à ce thème dans ses nouvelles.
«Augusta» est l’histoire d’une noble fille qui, plutôt que de jeter son coeur en proie à un homme
indigne, brave la calomnie et -¿herche à se frayer une carrière indépendante comme institutrice ; cette
nouvelle est pénétrée, en outre, de cet optimisme dont nous parlions plus haut. «Augusta», «Les péripéties
d’une journée» (tous les deux insérés dans le «Necken») et quelques autres récits publiés dans le recueil intitulé
«Nouvelles et croquis» (1851), sont peut-être ce que nous possédons de meilleur en fait de nouvelles
tirées de la vie de société et constituent la partie la plus remarquable de l’oeuvre de Berndtson. Le
dessin des caractères n’est pas toujours irréprochable ni l’action suffisamment motivée — selon le goût
du temps, le récit doit toujours contenir quelque chose d’extraordinaire, d’aventureux, d’étrange, — mais
l’art de Berndtson consiste à esquisser légèrement l’action et à faire pressentir le dénouement plutôt
qu’il ne le montre; c’est l’idée d’humanité qu’il défend contre les préjugés et les vices de la vie mondaine;
la.peinture dès moeurs abonde en traits justes, elle respire une saine bonne humeur; la langue
vive, naturelle et spirituelle constitue peut-être le meilleur échantillon de prose que possède notre littérature.
Berndtson emploie aussi avec assez de succès cet art léger à la peinture de la vie aux champs