finnois dans toutes ses directions, sauf la politique. Tout ce qu’a produit une si vaste activité n est pas
de premier ordre, sans doute, mais l’oeuvre tout entière n’en est pas moins d’une importance capitale.
11 faut parler de lui tout d’abord comme poète, et non pas parce que nous en sommes à ce chapitre,
mais parce que Krohn était, par le fond de sa nature, une noble âme de poète. Encore étudiant, il
commença la publication d’un album poétique, Mansikoi'ta ja Mustikoita (Fraises et myrtilles, I— IV,
1859— 1863), qui se transforma plus tard en une revue illustrée. C’est dans ces publications qu’il fit
paraître la plupart des morceaux rassemblés ensuite sous le titre de Poésies de Suonio. Comme Oksanen,
Suonio se livre tout entier dans ses poésies; seulement ici on se trouve en présence, non plus d’un caractère
mâle et fort, mais d’une nature tendre, qui séduit par sa pureté et son innocence, un sentiment
toujours chaud, souvent ardent, une foi religieuse au triomphe du bien, de la justice et de la patrie.
Sous le rapport de la forme, les vers de Suonio ne font pas une impression- de spontanéité comme ceux
d’Oksanen, mais ils sont plus variés et plus mélodieux, si bien qu’ils ont souvent inspiré les musiciens.
Les plus belles des poésies suggérées par des expériences personnelles forment un cycle sous le titre de
Emma; le poète y chante l’amour, les joies et les douleurs du foyer. Le recueil Comprend aussi un
certain nombre de compositions en prose intitulées Récits de la lune; ces récits transportent le lecteur
dans les temps et les pays les plus divers, mais partout on y retrouve
cette chaleur de coeur, cette manière charitable et noble de comprendre
la vie des peuples et des individus, qui forme un trait distinctif
du génie de Krohn. Ces récits sont les premières oeuvres
purement littéraires en finnois' qui aient eu l’honneür d’être traduites
en plusieurs langues étrangères. Krohn a, en outre, donné ù ses
talents de poète des emplois très divers. Il a pris une part active
aux travaux du psautier dont nous avons déjà parlé, et a- même
composé quelquès beaux psaumes; il a été le premier qui ait écrit
en finnois pour les enfants, en prose et en vers; enfin il a traduit
des poésies de différentes langues et sept romans de .Walter Scott.
Pour ce qui concerne son oeuvre d’historien de la littérature, dç=
linguiste et de folkloriste, nous renvoyons à la page 237 du présent
ouvrage; cependant nous devons encore citer ses Récits tirés de
l’histoire de Finlande (I— IV, 1872— 1878, en suédois), qui ont acquis
une grande popularité. Encore tout brûlant d’activité et d’ardeur,
Krohn perdit la vie dans une excursion en bateau à voiles.
Julius Krohn. A côté de ces deux écrivains déjà disparus, il faut placer Y rjô .
K oskinen (Georg Z. Forsman, voir p. 218). En comparaison de
ses travaux scientifiques, son oeuvre purement littéraire est assez mince —^ une nouvelle historique et
des poésies lyriques. Mais nous devons rappeler ici qu’Yrjô Koskinen est le fondateur d’une littérature
historique en finnois, et qu’il est d’ailleurs jusqu’ici le plus considérable des historiens de la Finlande.
Aucun de ces écrivains, dont pourtant les deux premiers étaient de vrais poètes, n’a permis à la
poésie de prendre une place dominante dans sa vie. Il en fut tout autrement d’AiÆKSis K iv i (Sten-
vall, 1834— 1872); avec des dons naturels bien supérieurs à ceux des deux autres, il resta bien au-dessous
d’eux sous le rapport de l’habileté technique. Fils, comme Lônnrot, d’un pauvre tailleur de village, il
avait déjà dix-sept ans quand il alla à l’école. Six ans plus tard il entra à l ’Université, mais les privations
avaient déjà miné sa santé. Et sa position ne s’améliora guère. Avec les maigres ressources^qu’il
tirait de son travail littéraire et les secours donnés par ses amis, il traînait le fardeau de l’existence;
il le trouvait léger quand la fièvre de l’inspiration brûlait son cerveau, mais ce n’était que pour en être
plus lourdement accablé aussitôt après. En 1870 il échoua à l’hôpital et n’en sortit que comme aliéné
incurable. Malgré cette vie si sombre, Kivi ne fut pas seulement un poète fécond, mais il dota la littérature
de son pays d’oeuvres géniales qui semblent sorties de conditions tout opposées. Son premier
ouvrage fut une tragédie, Kullervo (1860—64), où le jeune poète traitait l’épisode bien connu du Kalevala.
Il ne réussit pas complètement dans la tâche difficile de transformer en un drame bien composé la matière
épique de l’original, mais cet ouvrage est intéressant comme essai de présenter en traits réels les
figures mythiques et idéales du poème. Il ne réussit pas non plus dans une tragédie à tendance idéaliste,
Les fugitifs (1867); le Style ne manque pas de force et de pathétique, mais le dessin des caractères
est souvent schématique, les motifs, douteux, et le: tout n’est pas suffisamment travaillé. Aussi n’est-ce
pas à la tragédie, mais à la comédie que Kivi doit la réputation du premier auteur dramatique en langue
finnoise. -Son principal ouvrage de ce genre est la comédie' populaire intitulée Nummisuutarit (Les cordonniers
de la lande, 1865) ; là il a dessiné avec une étonnante verve comique d’immortels types et caractères
pris dans le milieu où il avait été élevé. IL se trouvait, tout à fait sur son terrain et c’est avec
un comique largè, sain et du meilleur aloi qu’il présente ses types du Tavastland dans des scènes qui
-touchent quelquefois-au bouffon. Il ne fut pas donné au poète de voir un seul de ses ouvrages sur la
scène; mais après sa mort cette pièce a été souvent jouée et toujours avec le même succès, si bien qu’elle
est devenue la pièce , la plus goûtée du répertoire finnois. Une farce en un acte; Les fiançailles, révèle
le même talent magistral pour peindre la vie et les caractères du peuple; pour y trouver un point de
comparaison, il faut penser à certains tableaux de genre des grands maîtres hollandais. La prochaine
fois que Kivi prit pour motif la vie des classes populaires, il
choisit la forme du roman. C’est un livre étrange que les Sept
frères (1870); l’auteur y raconte les tentatives tragi-comiques de
sept frères pour se soustraire dans la solitude des forêts aux
ennuyeuses obligations de la vie dans une société organisée, la
nécessité d’apprendre* à lire, etc. On a dit, et non sans cause,
de plusieurs scènes de. cè livre qu’elles sont pour le moins grossières,
mais il n’en est pas moins vrai que l’ouvrage porte la
marque du génie, soit par l’idée morale qui en fait le fond — -
les frères finissent par reconnaître l’absurdité de leur entreprise, —
soit par le caractère bien spécifiquement finnois des personnages,
soit enfin par la beauté des descriptions de la nature. Aussi ce
livre est-il beaucoup lu, et les romanciers finnois de la jeune génération
sont tout prêts à reconnaître qu’ils doivent beaucoup à
S f / j - I ;Jlfl
Kivi, car son roman est le premier essai considérable de narration
fictive en prose finnoise. On peut même dire que les «Sept frères»
A l e k s i s K i v i .
a eu pour le genre narratif la même importance d’initiateur que
les «Étincelles» d’Oksanen pour la poésie lyrique. Des autres ouvrages de 1 auteur, nous ne citerons
que deux idylles dramatiques en un acte: La nuit et le jour et Lea, sa plus belle création. La scène
de Lea se passe en Palestine au temps de Jésus; Lea est la fille du Zachée de l’Évangile. Le Sauveur
ne se montre pas sur la scène, mais on le sent toujours proche. Zachée d’abord, puis Lea, l’entendent
parler et, saisis d’enthousiasme, appliquent ses doctrines dans leurs actions. Ces personnages et d’autres
encore se détachent nets et clairs sur le fond de cés temps étranges, et le poète atteint dans son stylé
à une chaleur, à une magnificence orientale qui surpasse tout ce qu’il avait fait jusqu’alors. Cette oeuvre,
où les souvenirs de l’enseignement d’une pieuse mère prennent des formes si merveilleusement belles,
fut le chant du cygne du malheureux poète. La perfection artistique de ce morceau le rend bien digne
d’avoir été associé, comme on le verra bientôt, à la création du théâtre finnois.
Nommons encore, dans la même génération d’écrivains, A nders T ô rn ero o s , qui s’est fait bien connaître,
sous le pseudonyme de T u o k k o , non seulement par des traductions en vers et des poésies lyriques,
mais encore par une tragédie, Saül, qui atteste, il est vrai, des dons plutôt lyriques que dramatiques,
mais qui, par l’élégance, la sonorité de la langue, mérite une placé distinguée parmi les monuments de
la littérature finnoise.