L’époque d’Àbo, jusqu’en 1827. Âbo fut, pendant le premier tiers de notre siècle, le centre
littéraire du pays, et le nom le plus célèbre dans la poésie de cette époque fut sans contredit
celui de F r a n s Michae l F ranzén (1772— 1847). Dans tout le royaume de Suède, il n’y avait, parmi la
jeune génération du commencement de ce siècle, personne qui méritât mieux lé nom de poète, que le
jeune professeur d’histoire et de morale à l’Université d’Âbo, l’auteur des chants à Selma, le chantre
couronné de la mémoire de Creutz. Il est certain que le meilleur de l’oeuvre de Franzén date du temps
qu’il a passé dans sa patrie. Le premier volume de ses poésies, publié à Âbo en 1810, l'année avant
son départ pour la Suède, contient la plupart de ses plus belles. inspirations, comme si, au moment de
la séparation, il avait voulu laisser après lui le meilleur de sa lyre, pour la joie de sa patrie, et pour y
éveiller^ quand le moment serait venu, un chant plus sonore encore et plus beau.
On trouve dans ce volume toutes les images naïves de son enfance, ses chants à Selma, ses vers
de société, son idylle laponne «Den gamla knekten» (Le vieux troupier) et tant d’autres délicieuses compositions
que le spectacle de la nature et de la vie avait inspirées au doux poète. Ce qui était nouveau
dans cette ballade du vieux carolin, c’était le patriotisme éveillé dans l’âme d’un humble troupier par le
souvenir des anciens combats et associé aux impressions produites par la nature du pays natal. Sans
doute, plus tard, cette même inspiration devait se traduire en des accents plus mâles et revêtir des formes
plus vraies, mais il ne faut pas oublier que Franzén a été le premier à lui donner une expression. Mais
même dans les sujets plus habituels de son temps, on découvre avec ravissement dans Franzén une veine nouvelle
de sentiment, plus tendre, plus pur, plus ému. Combien n’a-t-on pas chanté, dans ces temps de
trouble, sa chanson: «Sôrj ej den gryende dagen fôrut» (Ne pleure pas d’avance le jour qui ne fait que
de naître) comme une sorte de consolation mélancolique de ce qu’on était impuissant à changer! Dans
leurs chansons bachiques, les poètes du temps de Gustave III n’avaient certes pas célébré la sobriété comme une
vertu, et leur épicuréisme ne se serait pas avisé, s’ils exhortaient à boire le champagne pendant qu’il
mousse, d’en donner pour raison que la jouissance perd sa noblesse et sa douceur quand l’âme s’en est
retirée. Franzén avait appris de bonne heure à trouver l’âme dans la nature; tout enfant, auprès de sa
mère, il avait été amené à ne voir dans la verdure, les eaux, les nuages, qu’«un voile transparent de la
bonté divine»; cette bonté est pour lui la" seule chose réelle dans la vie humaine.
L ’expression poétique de cette douce philosophie morale revient sous bien des formes dans son
oeuvre lyrique, sinon toujours achevée et révélant la main d’un maître, toujours du moins abondante et
harmonieuse; elle fait le sujet des conversations entre Cari et Emeli, le pasteur et sa femme, dans «Un
soir en Laponie». On trouve dans ce poème de merveilleuses descriptions de la nature du Nord, quelquefois
un peu fantastiques, alternant
avec dès réflexions sur le bonheur
de l’homme, le but et I||- valeur
de la vie; iau milieu de tout cela, on
voit se dessiner une des plus aimables
figures de femme de la littérature suédoise.
Il y a trop de philosophie et .
lés descriptions de moeurs y tiennent
trop de place, ce qui n’empêche pas
que la figure d’Emeli s’y développe
bien vivante. Elle rappelle par bien
des traits l’idéal féminin de Madame
Lenngren: même vaillance d’allures,
mêmès saillies spirituelles, même intelligence
cultivée, même sens droit,
même tournure d’esprit domestique et
pratique plutôt que rêveuse, mais avec
tout cela une profondeur de sentiment,
un dévouement sans bornes à l’être
aimé, qui donne à ce caractère une
plus haute valeur. Franzén dit lui-
même que c’est sa femme qui lui a
servi de modèle pour la création de
cette figure. Du reste, pour Franzén,
la femme est la personnification de
tout ce qu’il y a de bon, de tendre
et de gracieux dans l’humanité; et
cette image qu’il se fait de la femme
pourrait servir à caractériser sa muse.
Il fit imprimer sur les dernières
pages de ce recueil, au moment de
sa publication, un poème intitulé «Den inre fôreningen» (L’union spirituelle), qu'il avait composé sous
l’impression de son départ prochain.
Pourquoi Franzén quitta-t-il sa patrie au moment de la séparation d’avec la Suède? La cause directe
en fut sans doute qu’il, céda aux sollicitations de ses amis de Stockholm et de sa femme; mais au fond
c’était certainement dans la pensée d’être mieux à même de conserver et de perfectionner ses dons
intellectuels. La séparation, du reste, n’était, dans sa pensée, que matérielle. Au-dessus de l’abîme que
la violence creuse entre les peuples, au-dessus des frontières que gardent des hommes armés, il voit un
monde spirituel où peuvent vivre dans une union intime ceux que des murailles et dés armées séparent.
Son ‘ oeuvre même a été un chaînon important de ce lien spirituel entre les deux peuples, bien qu’après