Vlir. LES BELLES-LETTRES. 279
aboutit à la séparation de la Finlande d’avec la Suède. Tout y a sa place, rien n’est oublié: les trois
divisions dé l’armée et les principaux combats, tous les grades, depuis le roi et le maréchal de camp
jusqu’au soldat du train et à la cantinière, le vétéran et l’enfant de troupe, le vagabond même au bord
du chemin, et chez tous on retrouve l’esprit guerrier hérité des aïeux; et le public qui, sans prendre une
part active à la guerre, suit anxieusement lès opérations de l’armée combattant pour l’honneur et le devoir,
ce grand public y a aussi ses représentants, le haut fonctionnaire et l’humble fille de la ferme, et
nous voyons par eux que la même fidélité, le même sentiment du devoir pénétrait toutes les classes
de la société. Le poète ne dit rien des sentiments moins nobles qui peut-être, çà et là, avaient cours
dans la foule: c’est qu’il' considère que ce ne? sont là que. des éléments accidentels et passagers de la
vie du peuple. En revanche, il consacre un ou deux de ses- poèmes, par exemple «Kulneff», à l’ennemi,
et il faut reconnaître que, tout enthousiaste qu’est le patriotisme, il n’y a pas une seule parole haineuse
ou amère à l’adresse de l’adversaire. En tête du recueil est un morceau purement lyrique, «Notre pays» ;
ce morceau, mis en musique par Pacius, est devenu le chant national finlandais : on y trouve l’expression
de cet amour profond de la patrie qui a inspiré ces poèmes et en fait l’unité.
La première collection des Récits de l’enseigne Stâl parut en 1848, la seconde en 1860; chacune
contenait dix-sept pièces. On constate de l’une à l’autre une certaine différence de composition: en général
plus idéaliste, plus unie, plus travaillée dans la première, elle est plus animée, plus pittoresque,
plus anecdotique, mais aussi plus dramatique dans la seconde. Le grand intervalle qui a séparé les deux
publications n’a pas été sans influence à cet égard. La raison de ce retard fut sans doute la tâche qui
fut imposée à Runeberg, en 1853, de travailler à un nouveau psautier. Il revenait d’un voyage en Suède,
le seul qu’il ait fait hors de Finlande; Ce voyage avait été une marche triomphale et avait montré au
poète combien son oeuvre avait pénétré profondément dans les coeurs sur l’autre rive même du golfe de
Bothnie; ranimé par lés impressions qu’il en rapportait, il se proposait d’achever ses «Récits», quand il
reçut la mission d’entreprendre ce long et fatigant travail du psautier.
Quand l’archevêque Bergenheim réveilla l’activité des grands comités ecclésiastiques constitués
depuis 1817, on avait à choix des capacités de premier ordre pour mener à bien lé renouvellement des
chants de l’Eglise suédoise. On fit appel à Runeberg, à Stenbâck et à Lille, et, contre l’attente générale,
ce ne fut pas Stenbâck, mais Runeberg, qui exécuta le travail'.^ Son psautier, revu et augmenté de quelques
morceaux par les deux autres, parut en 1857 et contient environ 60 psaumes de sa composition;
le reste sont pour la plupart des remaniements du psautier de 1695 ou de celui de Wallin. Cet ouvrage
valut à Runeberg une récompense nationale, produit d’une souscription publique qui s’éleva à 74,000
marcs et qui était sans doute, au fond, un témoignage de reconnaissance pour toute son oeuvre poétique.
En même temps,^Université lui conféra le grade -de docteur en théologie, et il reçut les insignes de
c e t t e d ig n it é des mains de son vieil ami Lille. Mais quand la critique sè prit à examiner de plus près
ses psaumes au point de vue théologique et populaire, on les trouva trop artistiques dans l’exécution et
pas tout à fait satisfaisants sous le rapport du dogme. Vers 1860 parurent une quantité considérable
de poésies religieuses, entre autres un recueil de J. H. Roos, où le talent artistique n’était certes pas
considérable, sans que son rigoureux dogmatisme y suppléât Suffisamment. Alors Stenbâck se mit à
l’oeuvre à son tour et composa un projet de psautier (1866), mais sans beaucoup de succès: il n’avait
pas épargné plus que Runeberg les gaucheries de l’ancien’ psautier — il était à la fois trop religieux et
trop poète pour cela, — mais la partie cultivée du public trouva ses psaumes secs et maigres: la poésie
s’était vengée de l’anathème qu’il avait lancé autrefois contre elle. Cependant on avait constitué en
1863 un nouveau comité, dont Z. Topelius était le personnage influent; grâce à son talent plus souple
et plus désintéressé, il réussit à composer, en 1868, un psautier, qui fut enfin adopté par le synode de 1886.
Comme récompense de ses peines, Runeberg put, en 1857, avant d’avoir atteint la limite d’âge,
prendre sa retraite du professorat avec la pension entière. Mais bien qu’ayant maintenant les mains libres,
la seconde série des «Récits» n’avançait que lentement. Il en faut probablement chercher la cause dans
son imagination, qui paraissait tourner vers la poésie dramatique: «si seulement j ’étais plus jeune», disait-il,