populaire sont, grâce à la fraîcheur primitive de la langue, une source où les écrivains des classes supérieures
peuvent se retremper, tandis qu’elles constitueront, d’autre part, des documents toujours précieux
pour qui veut apprendre à connaître le peuple finnois.
La première place parmi les romanciers artistes de ces derniers temps appartient à Juhani A ho
(Brofeldt, né en 1861), fils d’un pasteur du Savolaks. Dès ses premières nouvelles, parues peu après
1880, il conquit le public et la critique. Il se présentait à eux comme un peintre de la vie du peuplé
doué d’un talent d’observation très fin et maître d’une langue riche et savoureuse. Dans les récits intitulés
Quand le père acheta la lampe et Le chemin de fer, il décrivait avec beaucoup de vérité et d’êsprit
le trouble que les inventions de la civilisation moderne apportent chez les tranquilles habitants des solitudes,
tandis que, dans Un client de foire, il raconte l’histoire tragique d’un homme du peuple, génie
manqué. Après cela Aho chercha des sujets dans la vie de la classe moyenne; il donna d’abord La
fille du pasteur, où il montre une âme de jeune fille opprimée par une vie privée de joies, dans un entourage
bien intentionné, mais étroit. Il prenait rang par ce volume parmi les réalistes modernes; et il
accentua cette attitude dans quelques récits de moindre importance (Le patron Hellman, En route pour
Helsingfors) . Dans unjvoyage qu’Aho entreprit alors à l’étranger, il étudia surtout la littérature française
contemporaine; il publia ensuite un roman d’amour malheureux, intitulé Seul, et deux recueils d’esquiSses
qu’il appela Copeaux et qui confirmèrent sa réputation du conteur incomparablement le mieux doué de
la langue finnoise. Tout dernièrement il a publié, sous le titre de La femme du pasteur, une suite de
son premier grand roman. Le naturalisme trop marqué de son roman «Seul» fut une pierre d’achoppement
pour beaucoup, malgré l’analyse psychologique bien conduitè et la vérité du sentiment, tandis que
les deux recueils de «Copeaux» furent accueillis avec une approbation unanime et chaleureuse et contiennent
vraiment quelques-unes des plus belles choses qui aient été écrites en finnois. - On y voit que
l’auteur a su développer son talent à l’école des stylistes français sans renoncer à son individualité et
sans que sa,-poésie ait rien perdu de son caractère génuinement finnois. Des traductions suédoises et
norvégiennes ont fait connaître Aho au delà des limites de son pays, et la critique'étrangère lui a fait
une place à côté des meilleurs romanciers du Nord.
Juho R eijonen, actuellement pasteur, est de la même contrée qu’Aho; deux volumes de Récits et.
un assez long roman, Lenfant supposé, attestent chez lui des qualités de conteur. Où il réussit le mieux,
c’est dans les petites scènes et les esquisses: elles rappellent Pâivârinta pour le choix des sujets. On
y trouve des types et des caractères de gens du peuple dessinés avec verve, souvent avec humour, et
de délicieux croquis de paysage. V ilho S oini, natif du TaVastland, réussit aussi dans les scènes de la
vie du peuple (Scènes variées de la vie des flotteurs de bois). " Citons parmi les conteurs encore plus récents
T euvo P a k k a l a et E sko W ir t a l a , tous deux originaires du nord de la Finlande et qui décrivent la
nature et le peuple de leur pays natal: le premier avec un franc succès dans le Voyage en bateau à
Uleâborg, le second avec un arrière-goût d’ethnographie dans C’était écrit, et S anteri (Ingman), qui,
bien qu’originaire de la même contrée, paraît se plaire surtout à la peinture de scènes de la vie d’étudiants
ou des villes ou en général de la classe moyenne (Hellaassa, Iltapuhteeksi -— Contes de la veillée);
mais ces écrivains sont encore trop près de leurs débuts pour qu’on puisse hasarder de les caractériser.
Si même ceux-ci et d’autres ne tiennent pas tout ce qu’ils semblent promettre, il n’en reste pas moins
vrai que le roman finnois est entré dans une ère féconde.
Nous ajouterons, pour compléter cette notice, quelques mots sur le’ caractère général de la littérature
finnoise après 1860. Autant qu’on peut y reconnaître une influence extérieure, c’est celle de Rune-
berg qui domine d’abord et jusque vers 1880. Elle se marque surtout par une recherche de clarté dans
l’expression et d’idéalisme dans la conception. Seuls les premiers romanciers et les auteurs dramatiques
ont en partie suivi les voies du romantisme et subi l’influence de Topelius. Toutefois, l’origine populaire
et démocratique de cette littérature se fait sentir si fortement dès l’abord que, dès sa première période,
nous y voyons un écrivain, Aleksis Kivi, unir à l’idéalisme la peinture la plus réaliste, pour ne pas dire
(naïvement) naturaliste de la réalité. Ce n’est que vers 1880 que l’influence de la poésie norvégienne,
avec Henrik Ibsen et Bjôrnstjerne Bjôrnson en tête, commence à imprimer à cette littérature un cachet
spécifiquement moderne. En Finlande aussi on voit naître une poésie de réalité et de réforme où se
réfléchissent les préoccupations du moment. Comme en même temps la quantité de la production littéraire
augmente dans une forte proportion, on est en droit de dire qu’à partir de cette date, la littérature
finnoise s’est rattachée à la Scandinave et en forme le rameau le plus jeune et le plus ténu, mais conservant
néanmoins son individualités
Sans doute cette littérature a été dès le commencement l’expression de ce qui se passait dans l’âme
du peuplé finnois, mais, jusqu’à ces derniers temps, le travail nécessité par les conditions nouvelles faites
à la langue finnoise a tenu les esprits dans un tel état de tension, que des intérêts plus généraux et
plus variés n’ont pu que récemment trouver place dans la vie sociale et dans la littérature. Ce point
d’où-on domine un horizon plus large est atteint; la langue finnoise est maintenant adaptée à tous les
domaines des connaissances humaines^- en dernier lieu aux sciences naturelles et à la médecine; —
aussi peut-on dire sans présomption que le résultat du travail d’élaboration raconté dans ces pages est
une littérature nationale en langue finnoise, humble et insignifiante comparativement à d’autres plus
anciennes, mais qui n’en a pas moins son caractère propre et qui est déjà parvenue au point d’être
dores èt déjà en état de répondre aux besoins essentiels et d’y satisfaire de mieux en mieux.
E. A s p e l in .