Les Permiens de la Dvina, puissants et riches jusqu’au 14e sièclë, et les Magyares sont les seuls
peuples de race finnoise qui aient fondé des empires. Tous les autres ont manqué d initiative politique.
On en trouve une preuve remarquable dans le fait que la majeure partie des populations qui appelèrent
Rurik à les gouverner étaient finnoises, mais que la puissance ainsi créée ne fut pas finnoise, mais russe.
Castrén cite une légende tchoude bien significative. Les Slaves et les Tchoudes étaient en présence,
armés pour le combat; les chefs des deux camps décidèrent que le différend serait tranché par un concours
d’adresse. Un Slave et un Tchoude auraient chacun un arbre à abattre et l’empire appartiendrait
à la nation du vainqueur. Le Tchoude attaqua consciencieusement le tronc de son arbre au ras du sol;
le Slave, plus malin, commença plus haut et eut fini le premier. Les contes populaires russes ajoutent
que les Tchoudes, plutôt que de vivre esclaves à la surface du sol, préférèrent s’enfouir sous terre avec
leurs trésors, et y vivent encore aujourd’hui avec leurs troupeaux, leur or, leur argent et leurs fourrures
de zibeline.
Tous les' Finnois de l’ouest, à l’exception des Lapons, ont été des peuples guerriers, mais leur force
était dans la défense, non dans l’attaque. A moins
d’être eux-mêmes refoulés, ils ne sont jamais partis
de leur propre mouvement à la conquête de pays
étrangers, mais ils ont toujours défendu leur territoire
avec acharnement. Les Permiens ont résisté
aux Slaves pendant cent cinquante ans. Il
a fallu cent cinquante ans aussi et trois croisades
aux Suédois pour faire la conquête de la Finlande,
morceau par morceau, bien que les habitants fussent
clairsemés et divisés par des dissensions intestines.
Le grand empire russe a mis trois siècles, à se
rendre définitivement maître de ce pays.
Ni chroniques écrites, ni documents, ni inscriptions,
ni pierres runiques ne nous ont conservé
des souvenirs de ces peuples finnois païens,
qui ne connaissaient pas l’écriture. . Tout ce que
nous en saurions se réduirait, d’une part, à des
antiquités de l’âge de la pierre et de l’âge du fer,
ustensiles, armes, ornements, restes de fortifications,
d’autre part, à quelques renseignements bien insuffisants
fournis par les nations étrangères, si les
Finnois eux-mêmes ne possédaient une tradition orale singulièrement riche. Des chants épiques, entremêlés
de fragments lyriques et d’incantations, se sont transmis de génération en génération à travers les âges;
on commença à les recueillir vers la fin du siècle dernier. Elias Lônnrot réussit à y retrouver et à
relier entre eux les fragments d’une grande, épopée nationale, comparable aux chants homériques, et
les publia en 1835 sous le titre de Kalevala. Des cinquante chants (runes) qui constituent le Kale-
vala, les plus récents portent des traces de l’influence du christianisme, mais la plupart remontent à une
haute antiquité et les plus anciens semblent trahir des rapports avec les mythes de l’Inde. Ces chants
réfléchissent une image fidèle des moeurs, de la civilisation et des idées du peuple dès les temps préhistoriques.
Nous savons par le Kalevala et par les recherches de la linguistique qu’à l’époque de leur entrée
en Finlande, les peuples finnois étaient en train de passer de la vie nomade à l’établissement de demeures
fixes. Ils pratiquaient l’agriculture en se transportant de lieu en lieu pour y défricher le sol par l’incendie
des forêts et faisaient paître leurs troupeaux dans les vallées. Leurs industries principales étaient la
chasse et la pêche et ils faisaient sur la côte un commerce d’échange. Ils connaissaient le,fer, le cuivre,
l’argent et l’or, savaient forger et tisser- la laine. Le sentiment de la famille était très développé; la
femme était honorée comme mère. Les hommes libres avaient à leur service comme esclaves des prisonniers
de guerre, traités avec douceur. La réunion des familles et de leurs chefs constituait en temps
de paix la tribu; le père de famille exerçait sur les' siens un pouvoir absolu. En temps de guerre, le
peuple était l’armée, lés chefs de tribus commandaient sur terre et sur mer, mais ces libres païens ne
reconnaissaient pas d’autorité royale. On a quelques indices de l’existence d’assemblées du peuple,
mais en somme la famille était le noyau de l’organisme'social; les coutumes faisaient loi; les ports naturels
étaient les lieux où se faisaient les échanges, mais il n’existait pas de villes.
Les Finnois adoraient le soleil et le feu; on retrouve dans leurs traditions un touchant amour de
la lumière et l’impression profonde dés ténèbres des nuits d’hiver. Jusque dans les temps modernes ils
ont passé chez les peuples voisins pour de grands magiciens; eux-mêmes étaient convaincus qu’ils possédaient
un pouvoir mystérieux. Mais la magie
finnoise était fondée sur une grande idée, qui
la rapprochait du christianisme plus que .toute
autre religion primitive, c’est-à-dire que le verbe
était le principe de la création. La parole,- disaient
ils, est seule toute-puissante. La force -
n’est qu’une émanation de la sagesse, et celui-là
seul- est sage qui connàît le mot créateur, le mot
originaire, sans lequel toute incantation est impuissante.
C’est là ce qui constitue la différence
fondamentale entre le monde finnois et le monde
aryen. Aux yeux des peuples aryens la puissance
héroïque à toujours résidé dans le glaive. Si
l’Odin des' -Scandinaves était le plus sage des
héros, c’était parce quï\ était le père-et le prototype
des armées; le Vàinâmôinen était le plus
puissant des héros, parce qui 1 en était le plus sage.
- Cette douce religion primitive dés Finnois \
n’eut pas le temps d’acquérir des formes précises,
mais elle contenait une philosophie profonde. Ce
n’était pas l’objet matériel qu’ils adoraient, mais
l’esprit («haltia») qu’ils croyaient vivre: en lui.
Tout était individualisé, tout avait son esprit,
mais cet esprit, caché et enchaîné dans la nature,
ne se révélait que dans l’homme, en qui il était
C h a n t e u s e d e r u n e s , d'après un portrait d e A. E d e l f e l t .
affranchi par la parole. C’est pour cela que l’I
imme dominait tout, mais ce pouvoir n’était pas
absolu; au-dessus de l’homme était un être inconnu qui se faisait entendre dans le tonnerre et résidait
dans les nuages, et dont le nom était «le Vieillard» («Ukko»). C’est de lui qu’en premier lieu
est émané le verbe; c’est lui qui règle en dernier ressort les destinées humaines. Tous les autres
personnages mythologiques — Tapio, le roi des forêts, Ahti, qui régnait sur les eaux, Tuoni, dont
l’empire s’étendait sur les enfers, tous ayant femmes et enfants, puis les fils et les filles de l’air, du
feu, du soleil, de la lune, des étoiles, etc. — n’étaient que des personnifications des forces de la
nature. La dignité de divinité n’était pas même accordée aux héros populaires Vâinâmôinen et Ilma-
rinen, qui avaient assisté pourtant à la création du monde. Un des traits les plus originaux du
mythe est le ridicule qu’il déverse sur les faiblesses humaines de ses héros. Ainsi .en réalité la mythologie
finnoise ne connaissait pas d’autre dieu que ce «vieillard» aux formes indécises. Mais même le
culte qu’on lui rendait ne prenait pas des formes matérielles. Les Permiens avaient emprunté aux populations
des bords de la mer Noire l’usage des temples et des idoles. Les Lapons adoraient des objets