Là, le temps avait marché, bien que d’abord les perspectives ne parussent guère être devenues plus
brillantes pour les beaux-arts. L ’engourdissement de la résignation avait fait place au sentiment que
notre petit peuple, malgré sa pauvreté, était quelque chose en soi, qu’il avait quelque chose à garder et
un avenir à se créer. C’était cet éveil de la conscience patriotique, cet essor des forces morales de la
nation, qui avait trouvé à la fois une expression et un aliment dans les oeuvres des Runeberg, des
Lônnrot, des Snellman, et qui allait donner naissance à l’art finlandais.
La Société finlandaise des beaux-arts fut fondée en 1846. C’est là un événement qui en un autre
pays n’aurait guère été de nature à faire époque. Mais l’histoire de l’art finlandais est, en résumé, «iistoire
des conséquences de cet événement.
Ekman était revenu à Âbo l’année précédente et y avait puissamment contribué à la fondation d’une
école de dessin — la seule école d’art, à part la salle de dessin de l’Université. A Helsingfors le principal
artiste était Magnus von W r ight, autodidacte, faisant de la peinture en partie pour son plaisir, de
son métier préparateur au musée zoologique; le seul peintre de profession était le Suédois-Johan E rik
L in d h ( 1 7 9 3— 1865), qui gagnait sa vie en toute modestie
à faire le portait des personnes aisées et ne se proposait
pas de but plus élevé que d’attraper la ressemblance et
de donner aux visages les couleurs de la santé. Il n’y
avait pas de collection publique d’oeuvres d’art et les .particuliers
qui possédaient des tableaux ou des statues de
quelque valeur étaient très peu nombreux. En voilà assez
pour nous donner une idée des ressources artistiques* du
pays. Les ressources pécuniaires dont la Société des
beaux-arts pouvait disposer pour commencer son oeuvre
étaient plus grandes, mais en tout cas^bien minimes en-
proportion de la tâche qui lui incombait. En effet, elle
devait seule, au moyen des sacrifices de temps et d’argent
des particuliers, soutenir les intérêts généraux des beaux-
arts, ce qui dans les autres pays est l’affaire de l’État, et,
de plus, suppléer de ses propres fonds au défaut d’acheteurs
et de mécènes. Ce n’était pas assez de «développer
le goût pour les arts du dessin et en encourager la pratique
» en achetant des oeuvres d’art et en les répandant
par la voie du sort entre les actionnaires. On établit une
écôle de dessin à Helsingfors (1848), et trois ans après
la Société reprit celle qui existait à Âbo; en 1849 on commença
une collection d’art; on institua des expositions
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R . V . E km a n .
annuelles; on donna des bourses et des encouragements — pas beaucoup des =premières, vu l’état des
ressources, mais d’autant plus généreusement des seconds H à ceux qui se risquaient dans la carrière
hasardeuse de l’artiste.
Si on jette un coup d’oeil en arrière sur l’oeuvre de la Société des beaux-arts, on est . confondu de
1 esprit de suite et de 1 énergie avec laquelle elle a dès le commencement poursuivi son but, qui était de
tirer du néant un art finlandais, et si l’on considère la disproportion flagrante entre ce but et les ressources
dont on disposait, on comprendra suffisamment que quelqu’un ait pu dire de ses fondateurs qu’on
n avait jamais vu tant d’utopistes réunis. Et ils étaient nombreux, ceux qui ne voyaient dans ces aspirations
que les rêves fantastiques de quelques esthéticiens dépourvùs de sens pratique. Et pour ce qui
concerne la participation du grand public, les promoteurs même de l’entreprise étaient bien obligés de
reconnaître que les goûts et les besoins d’art n’existaient guère encore chez les Finlandais.
Ainsi donc, ce fut surtout la conviction théorique chez quelques hommes dévoués à leur patrie de
l’immense importance de Part pour la civilisation, qui ouvrit la Finlande aux beaux-arts. Il est certain
que le mouvement auquel la Société dés beaux-arts a donne l’impulsion, est une des manifestations les
plus inattendues et les plus réjouissantes de la vie intellectuelle dans ces contrées glacées voisines du
cercle polaire. Un demi-siècle ne S’est pas encore écoulé depuis la fondation de cette Société. Et la
■' preuve est faite que les dons artistique^ ne font pas défaut à notre peuple. L ’art n’est plus chez nous
une plante exotique,: cultivée en serre chaude- par quelques rêveürs enthousiastes; il a pris racine dans
le sol même du pays et l’avenir s’ouvre souriant devant lui. Il a déjà fait dans une sensible mesure
l’éducation du public, éveillé les besoins artistiques, affiné le goût, et il est déjà lui-même parvenu assez
loin pour n’avoir plus besoin de faire appel à une indulgente bienveillance.
Quand les résultats des efforts de la Société des beaux-arts eurent montré avec évidence qu’il ne
s’agissait pas d’une utopie irréalisable! le gouvernement commença à lui venir en aide, d’abord en accordant—
des subventions, aux écoles de la Société et des bourses de voyage (dans les deux cas pour la
première fois en 1863),
plus tard en allouant des
pensions à des artistes de
mérite, en instituant des,
concours annuels (pour la
première fois en 1873), des
expositions (à Helsingfors
en 1876 et en 1885), en
faisant des achats occasionnels,
mais,, considérables,
d’oeuvres d’art, en commandant
des copies d’anciens
maîtres (pour la première
fois en 1891), et par
d’autres mesures encore.
On peut dire que la Société
finlandaise des beaux-arts—
d’abord une sorte de providence
pour l’art dans le
pays^i-^s’est transformée
peu | peu, en une autorité
servant d’intermédiaire des mesures prises par l’État pour favoriser les intérêts de l’ârt finlandais. Le
gouvernement a donné une preuve magnifique de ce souci des intérêts artistiques en construisant à ses
frais, de 1885 à 1887, te palais de FAteneum, à Helsingfors, pour les besoins de la Société des beaux-arts
et de la Société des arts appliqués à l’industrie.. Grâce à l’augmentation du nombre de ses membres
(1720 membres actionnaires en 1891 contre 509 en 1846) et à des dons généreux faits par des amis des
beaux-arts (en première ligne un legs d’environ 240,000 marcs de V. H o v i n g , commerçant à Viborg), la
Société dispose actuellement de ressources bien plus considérables que pendant la première période de
son existence.
La Société des beaux-arts n’est plus la seule institution pour la protection des arts. A mesure
qu’ils se sont sentis assez forts pour marcher tout seuls, les artistes' ont commencé à veiller eux-mêmes
à leurs intérêts, principalement par le moyen de la Société des artistes, fondée en 1864. Cette Société
a institué en 1873 une «caisse de pension pour les artistes et les littérateurs finlandais»; elle a plusieurs
fois pris l’initiative de la participation de l’art finlandais aux expositions étrangères. En outre, dans ces
derniers temps, il s’est créé à Âbo et à Viborg d’autres sociétés des beaux-arts; celle de Viborg a