234 VII. LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE.
la géographie et l’histoire de ces contrées de riches matériaux, qui firent l’objet de nombreuses publications.
Au retour de ses voyages, Sjögren fut nommé membre adjoint de l’Académie des Sciences de
Saint-Pétersbourg, au service de laquelle il passa le reste de sa vie; il en devint membre titulaire en 1844.
11 étudia dans ses derniers voyages, en 1846 et en 1852, les Livoniens de la Livonie et de la Gourlande.
La plupart des recherches de Sjögren sur les peuples fïnno-ougriens ont été publiées en 1861 sous le
titre de Johan Andreas Sjögrens gesammelte Schriften.
Sjögren a été -en quelque sorte le précurseur de l’homme qu’il faut regarder comme le fondateur
de la linguistique et de l’ethnographie finnoises modernes. Ma t th ia s A lexand er C a s tr én était fils d ’un
pasteur de l’Ostrobothnie; il naquit le 2 décembre 1813. De très bonne heure déjà il prit, comme il le
dit lui-même, «la résolution de consacrer sa vie à l’étude de la langue, de la religion, des moeurs, des
coutumes et des autres conditions ethnographiques du peuple finnois et des populations congénères».
Au moment où Castrén terminait ses études à l’Université (1836), E l ia s L önnrot venait de réunir les
runes épiques finnoises en. une grande épopée nationale, le Kalevala, et l’avait publié sous les auspices de
la Société de littérature finnoise, nouvellement fondée. La lecture de ce poème inspira à Castrén un
désir ardent d’étudier la mythologie finnoise et de traduire le Kalevala en suédois, afin de le faire connaître
en dehors du petit cercle de personnes qui savaient le finnois.: Aussi le but qu’il se ' proposait
dans ses premiers voyages en Laponie et dans la Carélie russe, en 1838 et 1839, était-il avant tout de
rassembler des légendes et dés runes mythiques et des explications au Kalevala. Ces explications lui
servirent plus tard dans sa traduction suédoise, qui rend avec exactitude et simplicité, mais poétiquement
aussi, le caractère de l’original finnois.
Castrén publia les premiers résultats de ses recherches linguistiques dans un travail intitulé De
affinitate declinationum in lingua fennica, esthomca et lapponica (1839). Mais il ne pouvait pas se,contenter
des sources que lui fournissait la littérature, il voulait voyager pour rassembler des matériaux plus surs
pour une étude de linguistique comparée. En 1841 il se rendit avec Lönnrot en Laponie et dans le
gouvernement d’Archangel. De là,, se séparant de Lönnrot, il continua, aux frais de l’État finlandais,
son voyage à l’est et étudia la langue des Samoïèdes, un peu aussi celle des Syriènes. Au prix de
peines et de fatigues infinies, il. arriva, en novembre 1843, à Obdorsk, où il devait se joindre en qualité
d’ethnographe et de linguiste à une mission scientifique envoyée par l’Académie des Sciences de Saint-
Pétersbourg, mais la maladie lè contraignit d’interrompre son voyage et de revenir dans son pays. Là
il publia en latin de courtes grammaires des langues syriène et tchérémisse.
En février 1845, Castrén entreprit un nouveau et pénible voyage en Sibérie, qui dura quatre ans.
Il y étudia un grand nombre de languës'et de dialectes: le samoïède, le mongole, le tongouse, le tatare,
l’iénisséi-ostiak, le kott et l’ostiak.
De retour en Finlande, Castrén fut nommé à la chaire nouvellement créée de langue et de littérature
finnoise. Dans sa thèse de professorat, De affixis personalibus linguarum altaicarum (1850), il cherche
à démontrer que la formation des désinences personnelles concorde dans les langues de la famille altaïque:
les langues finno-ougriennes, le samoïède, le turc, le mongole et le tongouse. Un an auparavant, Castrén
avait publié, comme premier résultat de son voyage, une grammaire et un vocabulaire ostiaks. Les
cours qu’il fit à l’Université portaient sur un vaste domaine, et la préparation de- ces cours réclamait une
grande partie de ses forces. Tout le temps qui lui restait, il l’employait à travailler à une grammaire
samoïède. Mais ses jours étaient comptés. L e -7 mai .1852, il succomba à une affection du poumon
contractée pendant ses pénibles voyages.
Les écrits et les matériaux laissés par Castrén et rédigés en grande partie par d’autres personnes,
parurent en allemand et en suédois dans les publications Nordische Reisen und Forschungen I— XII et
Nordiska resor och forskningar I— VI. La série suédoise ne comprenait que les écrits qui parurent,
devoir intéresser le grand public: souvenirs et lettres de voyage, conférences ethnologiques et mythologiques,
ainsi qu’un certain nombre d’articles de peu d’étendue. La série allemande comprenait en outre
une grammaire et un vocabulaire samoïèdes, et des grammaires ostiak, tongouse, bouriate, koïbale et
karagasse, iéniëléi-ostiak et kott.
L ’oeuvre principale de Castrén dans le domaine finno-ougrien est une mythologie finnoise, où il étend
le champ de la "mythologie finnoise jusqu’à en faire une mythologie finno-ougrienne, et où il en donne
une image correcte dans ses traits principaux. Cet ouvrage étonne, si l’on considère le peu de temps
que Castrén a mis à le composer. Comme linguiste, Castrén a fait avancer la connaissance des langues
samoïèdes et, dans une moins grande mesure, celle des langues finno-ougriennes. Merveilleusement doué
et tout entier dévoué à sa mission, Castrén restera dans l’histoire de la science comme une de ses figures
les plus belles et les plus attachantes.
Castrén eut pour successeur dans sa chaire E l ia s Lômwrot, dont l’oeuvre multiple a déjà amené le
nom dans- ces pages, et qui plus loin, au chapitre de la littérature finnoise, fera l’objet d’une notice plus
détaillée. Il ne nous appartient pas de raconter ic i comment Lônnrot publia le Kalevala, le Kanteletar,
les proverbes, énigmes et formules magiques du peuple finnois. Il faisait ces publications-comme devant
refléter «l’image de la vie, des moeurs, des caractères dans les.temps anciens, et servir de modèles aux
poésies et aux poètes finlandais de l’avenir». Il ne se proposait donc pas un but scientifique pur; cela
ressort du reste encore du fait qu’il ne publiait pas les runes telles qu’il les avait recueillies sur les lèvrés
du peuple, mais qu’il fondait en un tout les différentes variantes. Non pas qu’il prétendît reconstruire
les runes, leur rendre leur forme originairei'il procédait simplement comme .les chanteurs de runes.eux-
mêmes. Les- chanteurs mêlaient le contenu de runes différentes; Lônnrot, qui savait plus de runes
'qu’aucun chanteur finnois, se croyait aussi fl|droit de.fondre ensemble plusieurs variantes. Mais il a
toujours- soigneusement conservé ses collections originaires; elles sont maintenant une des sources-les
plus précieuses du folklore finnois.
Cette poésie populaire, dont la publication a immortalisé le nom. de Lônnrot, a eu une grande
influence sur la langue écrite en voie de formation. Basée principalement jusque-là sur le finnois occidental,
elle s’empressa de s’assimiler le vocabulaire, les flexions et les locutions plus riches du dialecte
oriental, la langue des runes; Lônnrot fut un des premiers et des principaux qui se servirent de cette
langue littéraire ainsi réformée. Il travailla encore d’une autre manière à cette réforme, en construisant
avec une incomparable habileté de nouveaux termes dont la langue avait besoin, maintenant'que sa littérature
commençait à embrasser des matières très diverses, botanique, jurisprudence, et autres sujets du
domaiife.-’de la -science-ou de l’activité sociale. :
La connaissance approfondie du finnois que Lônnrot avait acquise dans ses nombreux voyages, il
ne l’employa pas seulement à développer la langue dans un but purement pratique; il l’étudia aussi à un
point de vue scientifique. Dans la revue finnoise Mehilàinen (l’Abeille), rédigée par lui, il publia un travail
sur la théorie du verbe et du nom en finnois, et dans la revue Suomi (années 1841 et 1842), une série
d’articles so.us le titre de Contributions à la grammaire de la langue finnoise; on y trouve des observations
vraiment étonnantes pour l’époque sur la phonologie et la morphologie du finnois. Les résultats des
recherches de Lônnrot, tels qu'ils- sont contenus dans ses articles ou consignés dans ses notes, furent
d’un grand profit à F a b . C o l lan et à G. E. Eurén pour la grammaire pratique. Pendant son séjour en
Laponie en 1842, Lônnrot avait pris des notes sur le dialecte lapon d’Enare; il les publia beaucoup plus
tard en allemand sous le titre de Ueber den Enare-lappischen Dialekt. La même année, Lônnrot visita
les Vepses du gouvernement d’Olonetz et rassembla pendant ce séjour les matériaux de sa thèse de
professorat, De la langue tchoude du nord.
La plus considérable des publications de Lônnrot fut son Dictionnaire finnois-suédois, qui parut de
1866 à 1880. Cet ouvrage de plus de deux mille pages contient des matériaux immenses; on regrette
cependant de n’y pas voir indiquer quels mots appartiennent véritablement à la langue du peuple et lesquels
sont de formation nouvelle; le dialecte auquel appartiennent les différents mots n’est pas non plus
indiqué.