La perte du choeur des étudiants fut le coup le plus sensible pour la vie musicale à Àbo, car
c’était là qu’étaient les principales ressources vocales. Quelques étudiants de retour de Suède avaient
organisé en 1 8 1 9 le premier choeur d’hommes sur le modèle de celui des étudiants d’Upsal. Ce «quatuor»
fit en peu de temps, sous l’habile direction de K. V . S a l g ê ( 1 7 7 9— 18 3 3 ), professeur de musique à l’Université,
des progrès qui le mirent à même d’affronter victorieusement des difficultés sérieuses. Helsing-
fors, étant devenu ville universitaire, devint en même temps, par ce fait même, le centre musical. Une
autre circonstance contribua encore à amener ce résultat: l’Université avait réussi à s’attacher, comme
successeur de Salgé, F r e d r ik P a c iu s (né à Hambourg en 180 9 , mort à Helsingfors en 1 8 9 1 ) , l’homme
qui fut plus tard le plus remarquable compositeur de notre pays. Jusqu’alors la vie musicale s’était
bornée presque exclusivement à l’exécution. Depuis Pacius, nous possédons aussi une littérature musicale.
Pourtant notre pays avait produit auparavant déjà un compositeur important, B ernhard Henrik
Crusell (1775— 1838), mais fixé en Suède dès sa jeunesse, son oeuvre appartient à ce dernier pays. Le
principal ouvrage de Crusell, un opéra-comique «La petite esclave» (1825), a été représenté plusieurs
fois en Finlande, en dernier lieu lorsque fut célébré le centenaire du maître, en 1875. Mais ce qui a
surtout fait connaître Crusell, c’est la musique qu’il a composée pour des chants de la «Frithiofs saga»
de Tegnér; cette musique a partagé la vogue du poème et-possède
encore du charme.
Ainsi donc, notre premier compositeur fit sa carrière à
l’étranger, et ce fut un étranger qui créa nos premières compositions
nationales. Fredrik Pacius avait été sous-chef d’orchestre
à la chapelle royale de Stockholm; il avait vingt-cinq
ans lorsqu’il fut nommé professeur de musique à l’Université.
Élevé sous l’influence de Spohr et de Hauptmann, il représentait
comme compositeur la tendance classico-roman tique de
l’école de Spohr; dans ses meilleures oeuvres, comme aussi dans
sa remarquable exécution sur le violon, il se montra un digne
élève du grand maître. Avec d’aussi' sérieuses qualités d’artiste,
beaucoup d’énergie et, en même temps, de charme personnel,
Pacius devait exercer une influence décisive sur la vie musicale
à Helsingfors. Réunissant en une «Société symphonique» (1845)
et une «Société de chant» (1848) les ressources instrumentales
et vocales extrêmement modestes qu’offrait la jeune capitale,
Pacius exécuta successivement de grandes oeuvres, telles que
«Le jugement dernier» et «Le Pater» de Spohr, «La mort de Jésus» de Graun, le «Messie» de Hândel,
le «Saint Paul» de Mendelssohn, le «Requiem» de Cherubini, ainsi que «Le désert» de Félicien David, la
«Messe» de Spohr, pour choeur à huit voix, peut-être l’oeuvre la plus difficile qui ait été exécutée chez
nous (1868), presque toutes les symphonies de Beethoven, etc. Il dirigeait le choeur des étudiants avec
habileté et intérêt et il trouvait encore le temps de composer, et non seulement ouvrait ainsi une nouvelle
voie à l’art musical en Finlande, mais aussi s’assurait une place honorable dans l’histoire de la
musique contemporaine. L ’oeuvre la plus considérable de Pacius, l’opéra intitulé «La chasse du roi Charles
», sur un texte historico-romantique de Z. Topelius, fut interprétée pour la première fois à Helsingfors
en 1852 par une troupe composée surtout d’amateurs et eut un succès d’enthousiasme. Quatre ans plus
tard, cette oeuvre fut représentée à l’Opéra royal de Stockholm à l’occasion du couronnement de Charles
XV, et est restée dès lors au répertoire. Elle fut reprise à Helsingfors, après avoir été en partie remaniée,
en 1875 et en 1880. Certaines parties jouissent encore d’une popularité méritée, entre autres la
délicieuse romance «Och hafvets unga tarna» (Et la jeune vierge des mers) et le final écrit dans le goût
pompeux du temps. Un autre drame musical de Pacius, écrit sur le texte de la féerie de Topelius «La
Princesse de Chypre» et représenté à Helsingfors en 1860 et en 1876, est surtout connu du grand public
X. LES BEAUX-ARTS.
par la cavatine «O barn af Helias» (O enfants de l’Helladè) et par le «Kvarnsâng» (Chanson du moulin),
composé sur le motif de la mélodie runique. Dans le grand nombre des compositions importantes de
Pacius, nous citérons une «Fantaisie pour violon» (1842), un «Concert pour violon» (1845); la cantate
«Weihe der Tône» (1839), une «Marche de tsiganes» (1841), une «Marche de fête» (1842), un «Allegro
Maëstoso» (1850), «Mirjams Siegesgesang» (non exécuté) et la cantate à l’honneur de Porthan (1859). •
Mais l’importance de Pacius pour nous comme compositeur national se fonde surtout sur ses chants, par
exemple le magistral «Suomis sâng» (Chant de Suomi), «Soldatgossen» (L’enfant de troupe), «Fridsbôner»
(Prières de- paix), mais en tout premier lieu sur notre chant national «Vârt land» (Notre pays), composé
en 1848 sur les belles paroles de Runeberg et chanté pour la première fois à la mémorable fête d’étu-
diânts du 13 mai de la même année (voir ci-dessus pages 173 et 282).
L ’amour de Pacius pour son art ne Se refroidit pas avec l’âge; il composa jusque dans l’automne
de sa vie. Il eut la satisfaction de voir représenter en 1887 un opéra «Loreley», composé par lui peu
auparavant sur un livret de Em. Geibel. Quatre ans plus tard Pacius arriva au terme d’une carrière
active; il mourut honoré et regretté comme le père de la musique finlandaise; -
L ’art fondé par Pacius n’était toutefois pas, cela va satis dire, national au sens propre du terme.
Ce que produira l’impulsion qu’il a donnée portera probablement le caractère de notre nation, mais ce
qu’il a apporté lui-même dans notre vie artistique était en majeure partie un présent que nous recevions
du superflu musical d’une nation plus grande et plus riche. Cette influence dominante
de l’Allemagne, sensible dans plusieurs domaines de la culture intellectuelle
et tout particulièrement en musique, devait être encore affermie par le
deuxième en date de nos principaux compositeurs: K o n r a d G r e v e (1820— 1851).
Né en Allemagne, élève de Ferd. David à Leipzig, Greve fut nommé, à l’âge de
vingt-deúx ans, directeur de la Société musicale reconstituée à Àbo. Son activité
en cette capacité, et particulièrement comme compositeur, fut considérable relativement
à la • courte carrière qu’il lui fut donné de parcourir. Les principales compositions
de Greve sont: la musique de «La nuit d’été» (1847) et de là féerie
«Les soeurs de Kinnekulle» (1850), tous deux de N. H. Pinello, et de «Le combat
de la vie» (1851), drame historico-romantique de F. Berndtson. Cette dernière
pièce est mémorable dans nos annales artistiques parce que c’est à cette occasion
que fut exécutée pour la première fois en public depuis 1809 la «Bjôrneborgarnes
marsch» (Marche' dès soldats de Bjôrneborg), qui est peut-être la mélodie la
plus populaire dans tout le Nord; la pièce dut une bonne partie de son succès- à la belle musique
de Greve.
Les traditions Spohr-Mendelssohniennes réprésentées par Pacius et Greve ne donnèrent pas lieu
directement à une école musicale dans notre pays. Les exigences du public, bien que les oeuvres des
deux maîtres fussent accueillies avec reconnaissance et admiration, étaient encore trop modestes pour
faire dépasser aux autres; productions indigènes le niveau du dilettantisme, et les besoins artistiques
n’étaient pas encore suffisants pour assurer la subsistance à un musicien de profession travaillant sérieusement
à son art.
Parmi les amateurs de cette époque dont les compositions avaient du succès, il faut nommer F r e d
r i k A u g u s t E h r s t r ô m (1801— 1850), organiste à Helsingfors, et A x e l G a b r i e l I n g e l i u s (1822— 1868).
Tous les deux composèrent principalement des chants, dont surtout le «Vid en kâlla» (Au bord d’une
source) d’EhrstrÔm et le joli «Vârsâng» (Chant de printemps) d’Ingelius, sont encore populaires.
Le gendre de Pacius, le célèbre traducteur du Kalevala en suédois, K a r l C o l l a n (1828— 1871),
bibliothécaire de l’Université, débuta aussi comme compositeurs amateur. Richement doué pour la musique,
il se fit initier, déjà parvenu à l’âge mûr, à la théorie de cet art; il y était amenée tout particulièrement
par les recherches qu’il avait entreprises sur la chanson populaire. On retrouve l’influence de
ces préoccupations dans ses compositions, des chants pour choeur d’hommes ou pour solo avec
B