1 illustre Porthan et ses disciples Kristfrid Ganander et Erik Lencqvist ont eux-mêmes très peu écrit en
finnois, tout en travaillant indirectement à préparée l’avènement de cette littérature.
Pendant les vingt premières années du nouveau régime, la nation se recueillit, pour ainsi dire, en
vue du nouveau développement indépendant, et la production littéraire, même en suédois, fut très
peu considérable, comme on l’a montré ci-dessus. En même temps, rien ne se faisait pour tirer le
finnois de sa situation obscure; le suédois continua encore longtemps à être exclusivement la langue
de l’instruction supérieure et des classes cultivées; aussi nepouvait-on s'attendre à une activité bien
grande au service de la littérature finnoise. Il est d’autant plus remarquable qu’elle ait eu alors deux
représentants, tous deux supérieurs à leurs prédécesseurs. C’étaient Ja ko b Judén (voir'p. 232) et C ar i .
A x e l G ottlund (1796 1875). Jndén était fils d'un paysan du Tavastland; devenu étudiant et élève de
Porthan, il résolut de vouer sa vie au service de la littérature en langue finnoise. Il y consacra, en
effet, avec assiduité le temps que lui laissaient les devoirs de ses fonctions publiques. D’année en année i
il publiait de nombreuses brochures, le plus souvent en vers, mais aussi en prose; il y combattait, tantôt
par la satire et l’ironie, tantôt sérieusement, les préjugés et les superstitions et défendait la cause du
savoir et des lumières. Judén était M a manière un représentant de la philosophie du 18« siècle et eut
à soutenir bien des attaques pour ses idées libérales; dans ses poésies,-la raison et la réflexion dominent.
Les volumes de cet écrivain si zélé ne pénétraient pas bien loin; pourtant un petit nombre de ses-poesles
se répandirent dans le pays et y restèrent populaires, jusqu’à ce que des poètes mieux doues les eurent
fait oublier. Les morceaux qui eurent le plus de vogue sont ceux qui s’adressaient au Sentiment national
finnois et qui réclamaient une place plus élevée pour la langue finnoise. Par là Judén contribua à pro-
voquer un réveil, non seulement dans le public en général, mais surtout dans l'esprit dé quelques jeunes
hommes qui devaient se faire un nom dans l’histoire de la littérature finnoise. Gottlund fût un de ceux
qu’il encouragea directement à écrire en finnois. Ce ne fut pas en vain, bien que,Cet esprit original
n ait pas réussi à se faire dans l’histoire la place à laquelle sis dons et son énergie semblaient le pré-
destiner. Avant et après 1820 il parcourut les régions boisées habitées par des Finnois-entre la Suède
et la Norvège, et il se fit ensuite l’avocat de ces populations négligées, A côté de cette belle mission,
qui le fit à la fois connaître et méconnaître en Suède, il publia à Upsal de petits cahiers de'chants
. runiques finnois qu’il avait recueillis: sur les lèvres du peuple; plus tard, revenu en Finlande, il rédigea,
sous le titre d Otava (La Grande Ourse), use sorte d’album illustré contenant .un mélange d’articles scientifiques
et littéraires. En outre, Gottlund fut le plus opiniâtre champion de la lutte qui régna jusqu'au
milieu du siecle entre les partisans des deux dialectes, finnois: chacun réclamait, en effet, pour son dialecte
l ’honneur d’être reconnu comme langue littéraire. La victoire ayant peu à peu incliné du
dialecte occidental, dont Agrícola s’était .surtout servi, Gottlund persista jusqu’à la fin de sa longue vie
à soutenir seul la cause du finnois oriental.
Pendant que ces pionniers se frayaient ainsi des sentiers à l’écart, grandissait en force et en savoir
l'homme qui devait être le Colomb de la poésie populaire finnoise, le créateur de la langue littéraire et '
ainsi en vénté le père, de la littérature finnoise: E l i a s LO n n ro t . Comme Agrícola, Lônnrot. était sorti
dune humble demeure:' son père était un paûvre tailleur de village dans une région forestière écartée
Ne en 1802, ,1 fut immatriculé à l’Université d’Âbo en 1822, la même semaine que deux autres grands
Finlandais, Runeberg et Snellman. Parmi les influences qui ont déterminé la vocation du jeune étudiant
et préparé l’oeuvre qui devait faire de son nom l’un des plus aimés et des plus vénérés de notre pays
, l3Ut mentlonner en Première ligne quelques publications du médecin Zachris Topelius, père du poète’
c étaient des chants épiques recueillis pour la plupart de la bouche de chanteurs de la Carélie russe’
béduit par ces accents profonds venus de contrées écartées et obéissant à cette voix intérieure qui pousse
les meilleurs enfants d’une nation dans la voie qui doit conduire le peuple à un avenir meilleur, Lônnrot
résolut de continuer et d’achever l’oeuvre commencée par Topelius. Il choisit, lui aussi, pour profession
, medecl" e> ma,s 11 donna son coeur à la poésie du peuple et à sa langue maternelle et, en retour il
leur dut la célébrité. Etabli comme médecin à Kajana, bien loin dans le Nord, il alla chercher cette
poésie à sa source dans les solitudes, au delà des frontières de la civilisation, dans cette Carélie russe
habitée par des Finnois. Là il trouva en foule des chanteurs dont la mémoire était bien garnie et il fit
une riche et belle moisson de poésies et de légendes.
Avant d avoii découvert les régions les plus fertiles en trésors d’ancienne poésie, Lônnrot, encore
étudiant, avait voyagé dans le pays et noté des chants, dont il avait publié une partie dans de petits
cahiers ayant pour titre Kantele (ainsi s’appelle l’instrument national finnois). La fondation de la Société
de littérature finnoise assura à Lônnrot la paisible' continuation de son travail, et elle put bientôt, grâce à
lui, mener à bien une série de publications finnoises qui firent époque, non seulement dans l’histoire de
la littérature finnoise, mais encore, on peut le dire, dans la vie du peuple finnois.
Dans les premiers recueils imprimés par Topelius et Lônnrot, quelques chants épiques surtout avaient
attire 1 attention. Lônnrot en trouva un nombre toujours plus grand, mais l’important n’était pas leur
niasse et leur beauté, mais bien la découverte qu’il y avait un lien entre ces chants épiques et qu’il
poui 1 ail, sans faii e violence aux matériaux, les réunir en un tout, une grande épopée nationale. Cette
épopée, le Kalcvalo, nommée ainsi d’après le pays des héros de l'épopée, les enfants de Kaleva, fut
imprimée poui la première lois en 1835; quatorze ans après, il en parut une deuxième édition considé-
îablement augmentée. En effet, dans 1 intervalle, lui-même et d’autres collectionneurs, principalement
l’infatigable D a n i e l E u r o p æ u s , avaient noté de nouveaux chants, qui complétaient les précédents. Cependant
les collections de Lônnrot 11e comprenaient pas seulement des chants épiques, mais tous les
genres de poésie populaire. Ainsi parurent, de 1840 à 1844. les recueils déjà mentionnés (p. 199) de
poésies lyriques sous le titre de Kanteletar (c'est-à-dire la fille du Kantele). de proverbes, S énigmes; enfin,
en 1880, un recueil de chansons magiques. Lônnrot avait aussi noté des contes populaires, mais ils furent
P ® M avec beaucoup d’autres du même genre, par un jeune savant, E e r o S a lm e la in e n (Légendes et
contes dit peuple finnois, 4 vol., 1852— 1863) *.
p f t f hier, comprendre le développement de la littérature finnoise après l ’apparition du Kalevala, il
faut -que nous nous interrompions et que nous caractérisions en quelques traits la poésie populaire qui
surgissait ainsi tout à coup et allait constituer la base solide d’une littérature nationale en langue
finnoise.
Les titres seuls des six publications ci-dessus montrent combien est variée la poésie populaire finnoise.
Mais l’apparition du Kalevala causa un très grand étonnement, car, bien que le monde savant n’ignorât pas, depuis
Porthan, que le peuple finnois possédait une poésie attestant chez ce peuple un don poétique remarquable,
on croyait avoir, en fait et en théorie, les meilleures raisons de penser que cette poésie était exclusivement
lyrique. Et on voyait maintenant que les Finnois possédaient dans le Kalevala un poème narratif
auquel on assigna, dès son apparition, une place distinguée à côté du petit nombre de véritables épopées
nationales de la littérature universelle.
Les chants du Kalevala datent de l’époque païenne, sans doute des siècles précédant immédiatement
l’introduction du christianisme. Toutefois ces temps préhistoriques sont trop obscurs pour qu’on puisse,
comme Lônnrot et d’autres l’ont essayé, rapporter à des événements réels le contenu de ces chants:
des études plus récentes ont, en effet, conduit à la conclusion que le poème repose sur un fond essentiellement
mythique. En tout cas, quel qu’en soit le fond, ce poème donne une image complète, non
seulement des idées, religieuses et autres, des anciens Finnois, mais encore de leur vie extérieure et
intime, des contrées septentrionales qu’ils habitent, du monde végétal et animal qui peuple leurs forêts
et leurs eaux.
* Dans cet article, les titres en français sont des traductions du finnois.