Ce sont là les auteurs qui ont donné son caractère à la période de 1860 à 1880. Nous arrivons
maintenant aux écrivains plus jeunes ou tout récents. Le nombre en va toujours croissant; aussi peut-on
les répartir en groupes, selon le genre qu’ils représentent.
Bien qu’on constate chez les écrivains finnois la même tendance qu’ailleurs à abandonner la poésie
pour la prose, la poésie lyrique a encoré ses fervents. Il faut placer en première ligne Johan H enrik
E rk ko (né en 1849); il a publié, en 1881, un choix des poésies qu’il avait d’abord fait paraître en petites
livraisons (Valikoima runoelmia). Sorti d’une famille de paysans, instituteur primaire de son état^ Erkko
est resté voisin de la nature et du peuple. C’est Ce qui donne à sa poésie une grande ressemblance
avec le Kanteletar. Il y a dans son oeuvre de vraies perles, des petites pièces d’un sentiment frais, naïf,
de la nature, qui les rapproche de la. poésie populaire. Son vers caressant nous présente tantôt une
image de la vie réelle, tantôt une impression idyllique, tantôt une réflexion poétique, ou une pensée d’une
forme aphoristique, mais toujours, que l’on voie ou que l’on médite, c’èst dans les champs et les bois,
là où l’air est pur et sain. En revanche, quand il veut mettre à sa lyre des cordes plus sonores, abordèr
l’ode patriotique ou s’essayer dans la ballade, il est bien loin d’atteindre à la même perfection. Ce que
nous venons de dire s’applique aux oeuvres de jeunesse d’Erkko, à ces oeuvres qui lui ont fait une place
à côté, sinon au-dessus, d’Ôksanen et de Suonio. .Elans les volumes de vers qu’il a publiés plus tard,
on voit qu’il a changé de point de vue, qu’il n’est plus l’homme de la nature et religieux à la façon du
peuple. Le plus remarquable de ces derniers est le recueil intitulé Havatthwm '^Depuis -que je-, sùfe-.
réveillé, 1886); il contient un certain nombre de «psaumes» (virsiâ) ou hymnes rationalistes, où là vie et
la liberté, l’amour et la vérité forment une conception de la divinité en quelque sorte panthéiste exprimée
en accents profonds et enthousiastes. Dans d’autres poésies l’auteur a voulu donner essor à' des idées
sociales plus modernes et plus libres, mais ses dons poétiques ne paraissent pas trop s’accommtider des
éléments de réflexions inhérents à de pareils sujets; aussi ces poésies ne constituent-elles guère un progrès.
En revanche, les tragédies Le voyant (1887) èt Aino (1893) prouvent heureusemeüt que le poète
ne s’est pas arrêté dans son développement. La première de ces pièces, où des idées modernes sur les
conditions d’avenir des peuples se mêlent au sujet proprement dit, la lutte d’Israël contre les Moabites
et les Médianites, est entachée, il est vrai, de fautes graves de composition qui rendent la pensée principale
obscure; elle n’en contient pas moins des parties d’une grande beauté lyrique, des pensées profondes
et surtout une scène d’un effet dramatique grandiose, celle où Balaam bénit malgré soi le peuple
d’Israël. Quant à la seconde pièce, c’est tout simplement un chef-d’oeuvre. Non seulement l’auteur y
élève à la perfection le pur lyrisme populaire finnois que nous trouvons dans ses premières poésies, mais
encore, par une habile mise en contraste des caractères et des groupes du peuple et pàr la noblesse des
sentiments, il a su tirer de l’épisode d’Aino dans le Kalevala un intérêt dramatique et moral que personne
encore n’y avait soupçonné. Mentionnons enfin qu’Erkko S’est aussi essayé dans la nouvelle:
Récits du pays natal et Un croyant (1890); cette dernière raconte le développement psychologique d’un
homme du peuple combattu entre différentes influences religieuses.
P a a v o C ajand er (né en 1846) n’a pas encore, il est vrai, rassemblé ses poésies éparses dans les
albums et les journaux et qui se distinguent par le soin de la forme et la valeur poétique de l’inspiration;
mais il s’est fait un nom par les belles traductions, déjà citées, de Shakespeare et d’autres poètes.
A r v i Jânnes (Arvid Genetz, voir p. 238) a traité en vers d’un sentiment noble et viril (Souvenirs et
espérances) des sujets patriotiques ou des motifs empruntés au cercle de la famille; il a établi scientifiquement
les règles de l’ancien vers épique finnois^ mais il ne s’est pas borné à la théorie, il a donné l’exemple
dans une excellente traduction des Chasseurs d’élans de Runeberg. K a a r l o K ramsu a attiré l’attention
■ par des ballades sur des sujets tirés de. l’histoire de Finlande. K asimir L eino (Lônnbohm), dont les
poésies lyriques (Ristiaallokossa — Parmi les brisants, 1890) respirent la jeunesse impatiente d’entraves,
se rattache dans ses nouvelles à l’école réaliste (Emmalan Elli, Elàmàstà — Scènes de la vie réelle).
Pour ce qui concerne la littérature dramatique, l’exemple d’Aleksis Kivi a été fécond. Peu de mois
après la mort du poète, on fondait à Helsingfors un théâtre finnois permanent, et ce théâtre a puissamment
contribué à provoquer et à animer la production ’ dramatique. K a a r l o B ergbom (né en 1843), son
excellent et énergique directeur, n’a lui-même écrit en finnois qu’une pièce en deux actes, Paola Moroni,
et quelques nouvelles; mais en mettant à la disposition des auteurs dramatiques son goût littéraire et ses
remarquables connaissances techniques de la scène, il a rendu un important service à la littérature finnoise.
Les auteurs dramatiques Suivants méritent une , mention particulière. E v a ld F erdinand Jahnsson
(né en 1844) a surtout éveillé l’intérêt par des sujets tirés de l’histoire de Finlande. Ainsi il a écrit en
vers faciles la tragédie de Lalli, nommée ainsi d’après un paysan qui assassina l’évêque Henri en 1157;
l’auteur y peint la première lutte entre le paganisme et le christianisme en Finlande. Jahnsson'! eut plus
de succès dans Bartholdus Simonis, drame en 3 actes; c’est le nom d’un collégien qui tomba dans la
guerre entre la Suède et la Russie en 1656. Jahnsson a aussi écrit des nouvelles historiques, ainsi
Hatcinpààn Heikki, où il décrit la lutte entre les civilisations païenne-finnoise et.chrétienne-suédoise au 13e
''siècle. R o b e r t K iljander (né en 1848) montre plus d’expérience des exigences de la scène dans six comédies
en un et deux actes (Notre amie Amalia, Situation difficile, etc.). Ces intérieurs de petite ville ne sont pas
très originaux, sans doute, mais leur gaîté familière et naïve les maintient au répertoire du théâtre finnois.
Les ouvrages de Mme Minna G anth (née en 1844), femme remarquablement douée, comptent parmi
les plus notables productions littéraires de ces derniers temps en finnois.. Ellè publia dans les journaux,
après 1870, quelques récits tirés de la vie du peuple, après quoi elle débuta comme auteur dramatique par
deux pièces, Murtovarkaus (Le vol par effraction) et Roinilan talossa (A la ferme de Roinila); l’intrigue de
"ces pièces n’offre rien d’extraordinaire, mais elles surprirent par des mérites de facture, un dialogue vif et
serré et des types d’hommes du peuple originalement dessinés. Bientôt elle subit l’influence des nouveaux
courants d’idées, en particulier de la nouvelle littérature norvégienne, et elle devint bientôt le
principal représentant du réalisme dans notre jeune littérature. Les pièces subséquentes de Mme Canth
proviennent toutes de cette tendance; ce sont: Tyômiehen vaimo (La femme de l’ouvrier), où elle montre
avec beaucoup de puissance la position sans défense de la femme vis-à-vis d’un mari corrompu et ivrogne;
Kovan onnen lapsia (Les enfants de la misère), peinture fortement colorée de la vie des ouvriers et
de la misère comme origine naturelle des idées subversives ; enfin Papin perhe (Une famille de pasteur),
dont le sujet est la lutte entre la jeunesse et la vieillesse, les vues nouvelles des enfants et le conservatisme
du père. Malgré quelques détails faibles, ces pièces attestent un don remarquable pour le théâtre;
elles ont toutes les qualités de la première, aussi ont-elles toujours réussi à la scène. Le dernier drame
de l’auteur, Sylvi (1893, en suédois et en finnois), tire parti, avec talent, d’un événement véritable pour
essayer d’expliquer psychologiquement comment une femme dont le développement moral est resté à
l’état d’enfance, devient la meurtrière de son mari. On retrouve dans les nouvelles de Mme Canth le
même genre d’idées qui caractérisent ses drames. Ainsi Les pauvres gens, un petit tableau saisissant,
magistralemènt exécuté, de la vie des pauvres dans une petite ville, Hanna et L ’écueil, dont l’action se
passe dans la classe moyenne cultivée. Des traductions suédoises de plusieurs de ces ouvrages ont fait
connaître l’auteur dans les pays Scandinaves.
Bien que plus jeune et n’ayant qué peu produit, Ma t t i K u r ik k a mérite une mention pour son
drame populaire Le dernier effort. La pièce a beaucoup d’intérêt, non seulement comme représentation
de la vie du peuple dans le pays natal de l’auteur, Plngrie, mais encore à cause de son caractère demi-
historique. C’est probablement, le premier et le seul essai qui ait été fait de représenter à la scène les
résultats et l’impression produits par l’affranchissement des serfs en Russie^ ce noble exploit d’Alexandre II.
Kurikka a aussi publié des nouvelles. Enfin nous ne pouvons pas omettre G u s t a f Ajdolf vo n N umers
(né en 1848) parmi les dramaturges finnois. Bien que cet auteur, qui n’a paru devant le public qu’aux
environs de quarante ans, écrive en suédois, ses ouvrages ont toujours été joués en premier lieu sur la
scène finnoise et imprimés ensuite dans la traduction finnoise. C’est ainsi que Numers a fait représenter
trois drames historiques et une comédie; les drames Eerikki Puke et La mort d’Elina traitent des sujets
historiques du 15e siècle (le sujet du dernier est celui de la ballade du Kanteletar citée plus haut); le
drame La bataille de Tuukkala se passe à l’époque païenne en Finlande; le titre de la. comédie est