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tôt elles réussirent assez bien à joindre deux
morceaux de peaux ensemble. Elles em-
ployoient, pour cette opération , un petit
fil de boyaux qui se faisoit dans la peuplade
j et ce procédé leur paroissoit plus
expeditif, plus solide et plus propre que
celui dont se servent en pareil cas les Sauvages
, et qui consiste a percer le cuir avec
une arrête ou un os pointu, pour passer
ensuite leur fil dans le trou.
Depuis que je suis revenu de mes voyages
y jamais je n’ai vu une femme coudre,
sans songer à mes Kabobiquoises. Mais en
y réfléchissant mieux, je n’ai point manqué
de me repentir de leur avoir enseigné
un art dont bientôt la privation ne leur
aura laissé que des regrets.
Lorsqu’à mon premier voyage j ’appris
aux Caffres à faire un soufflet de forge , au
moins celui que je leur fabriquai devenoit
un modèle , et ils avoient che^ eux tout ce
qu’il leur falloit pour en construire de semblables.
Il n’en étoit point ainsi de mes Ka?
bobiquoises. Bientôt leurs aiguilles auront
été cassées, ou hors d’état de servir, comme
le rasoir du chef ; et il ne leur aura resté
e n A f r î q u e .
que l’impossibilité de les remplacer et le
chagrin d’en avoir connu l ’usage! Si la con-
noissance d’un art nouveau procure, par ses
avantages, quelques jouissances nouvelles,
elle donne aussi de nouveaux besoins 5 et
l ’enseigner à un peuple qui manque de
moyens de s’en aSsurer la propriété, c ’est
lui faire un très-mauvais présent.
J’aurois aujourd’hui également bien des
reproches à me faire , si le premier j ’avois
appris aux Kabobiqüois à connoître et à
aimer le tabac et l ’eau-de-vie. Ils avoient,
avant mon voyage chez eu x , l ’usage du tabac
; et cette marchandise leur étoit apportée
par les peuplades namaquoises, leurs
voisins, q u i, de proche en proche, la recevant
des colonies par le commerce, ve-
noient la leur vendre pour des bestiaux.
Mais ce trafic n’ayant lieu que dans certaines
circonstances , et par conséquent la
denrée étant très-peu abondante, fc’est pour
eux une friandise dont ils ne peuvent user
que rarement. Réduits à en manquer souvent
, ils savent s’en passer , et ne feraient
point un pas pour s’en procurer, si on ne
leur en apportoit.