
Le plus éloigné des fuyards était le boeuf
porteurj mais il venoit de s’arrêter , • parce
qu il se sentoit encore gêné dans sa course
par des courroies } et ne pouvant réussir
à s’en dépêtrer , il se débattoit et mugis-
soit avec fureur. Je piquai vers lu i , dans
le dessein de le repousser du côté de la caravane.
Il ne répondit à mes efforts que
par un coup de corne qu’il porta dans le
flanc de mon eheyal, et qui me déchira la
jambe. Mais le pis de l ’aventure, c’est que
le cheval, se jettant sur le côté par un saut
de mouton, me lança en avant à dix pas de
lu i , et prit la fuite.
Heureusement mon arme, dans ma chute,
ne m’échappa point des mains } et ce bonheur
me sauva la vie. Le boeuf, la tête baissée
, se portoit sur moi pour me percer de
ses cornes. J ’armai mon fu s il, et par un
des plus heureux coups que j ’eusse tirés
jusqu’alors, j ’étendis ranimai à quelques
pas de moi.
Il appartenoxt à l ’un des Kaminouquois
de ma suite. En ce moment, son maître
acconroit à perte d’haleine pour le saisir
et le ramener} et il n’arriva que pour lui
voir rendre les derniers soupirs. Ce spectacle
jetta le bon homme dans la désolation.
Il se mit -à pleurer comme un enfant,
et à faire l’éloge de'son boeuf, qui étoit le
tàefheùr et le plus cbéri qu’il eût jamais
p o s s é d é , disoit-il, et dont il regrctteroit
la perte toute sa vie.
Cependant, quand je lui eus promis de
lui en donner un au tre , ou de lui payer
le sien cf après son estimation , ses larmes
tarirent tout-à-coup , et ses lamentations
cessèrent. Cet homme inconsolable s.e consola
même si promptement qu’ayant appelé
quelques-uns de ses camarades , il se mit
avec eux à écorcher son meilleur ami et à
le couper en quartiers , pour commencer a
s’en régaler dès le jour même.
Pendant ce tems, je faisois ramasser mes,
effets épars de tous côtés sur le terrain.'v
Cette opération employa beaucoup de tems,
et elle fut même si longue que dans notre
journée nous ne pûmes faire que cinq lieues.
La journée du lendemain ne nous avança
guère davantage } mais ce fat par un accident
d’un autre genre , par l ’effet d’un de
ces vents affreux de sud-est', qui sont l ’up.