
dans mon bassin et que j ’appliquois sur
mes lèvres, leur paroissoit une sorte de
magie. Mais ce fut bien autre chose , lorsqu’ils
virent le rasoir appliqué sur ma
moustache et la barbe disparoître si facilement
de l ’endroit qu’il avoit touché. Ce prodige
les émerveilloit à un point que je ne
puis dépeindre.
Pour le leur rendre plus sensible encore
et leur en montrer les effets de plus près,
je pris par un des bouts le kros du chef,
et en un instant j ’en rasai large comme la
main.
Ce Sauvage étoit un homme de bon sens
et qui avoit plus d’intelligence que n’en ont
ordinairement ses semblables. Du premier
apperçu, il sentit de quel avantage inappréciable
pouvait lui être un rasoir , pour
épiler un manteau d’été , et combien il en
abrégeroit les façons. Dabord il me témoigna
, par plusieurs signes très-expressifs ,
son admiration pour un si merveilleux instrument
j puis, sans perdre de teins en paroles
que je n’eusse pu entendre , il me fît
v o ir , par d’autres gestes également significatifs
, l ’envie qu’il avoit de le posséder.
C ’étoit
Ë Î i A F B - t q ü Ë . Si
C*étoit la première fois que noüs nous
parlions sans truchemens j mais sa pantomime
étoit si énergique que je n’avois pas
besoin d’interprètes pour le comprendre. Il
me donnoit à eiltendre que les bracelets ,
les Ceintures, et le tabac qu’il avoit reçus
de moi la veille en échange de son boeuf de
guerre , lui dépïaisoient maintenant > et
qu’il m’offroit de më rendre tout cela pour
le rasoir * si je consentois à le lui accorder»
Le nouveau marohé qü’il me proposoit
étoit mauvais pour lui. Je sentois très-bien
qu’un rasoir entre ses màins , employé à
couper à sec le poil trèe-rtide d’un cuir
desséché , seroit gâté en très-peu de tems.
J’eusse désiré lui faire comprendre sur Cela
ce que son inexpérience l’empêchoit de Sentir
j mais comment le lui expliquer ? Déjà #
dans son impatience , il avoit dit à l’un de
ses camarades d’aller à sa hutte chercher
les effets qu’il Youloit me rendre. Moi j ’éA
tois déterminé à lui céder le rasoir et à le
prier de garder le tout. Mais au milieu de
ces combats, tout-à-coup on tira près de
nous un coup de fusil j et à l ’instant même
nous entendîmes des cris affreux.
Tome I I I , F
/