
la mâchoire inférieure moulue , brisée d
emportée presque en entier.. Les lambeaux
qui restaient encore et sa langue , à découvert
, pendoient tout sanglans sur son cou
et sur sa. poitrine. Il étoit mourant, et ne
donnoit plus d’autre signe, de vie que le
battement de l ’artère. Mais l ’enflure prodigieuse
de sa tête , l'altération horrible
de son visage, le déplacement de ses yeux ;
hors de leur orbite -l’avoient tellement dé- !
figuré qu’il ne conservait aucun des traits
humains, et qu’il révoltait ma vue , en
même tems qu’il déchiroit mon coeur.
Son camarade avoit plusieurs morsures !
ou déchirures sur le corps, et le bras cassé,
ou plutôt broyé en deux endroits. Néanmoins
son état n’étoit pas à beaucoup près
aussi, fâcheux ; et il ■ pouvoir même parler. ;
Nous l ’interrogeâmes sur la cause de son
malheur ; il nous apprit qu’après que nous
les eûmes quittés, ils avoient éteint leur
feu pour n ’être pas découvert par les Boscb-
jesman ; et que; s’étant endormis après , à
quelques pas l ’un de l ’autre peu de tems
après il avoit été reveillé pan les cris de son
camarade, au secours de qui il vola sur le
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moment même, et qu’il trouva se débattant
contre les griffes d’un lion , auquel il porta
un coup de sagaie dans le flanc. Mais l ’animal
se sentant blessé , se jetta sur lui et
le réduisit, avant de fu i r , dans l’état où
nous le voyons.
Ce récit me consterna ; et ce qui augmen-
toit encore mon amertume et mon désespoir
, c’est qu’en ayant accepté' les services
de ces deux tristses victimes , j ’étais la cause
innocente de leur mort. Oh ! combien
je gémis alors de n’avoir d’autre secours
à porter à ces malheureux expirans, que
de les achever impitoyablement sur la place
, et de terminer ainsi leurs souffrances.
Cette barbarie néanmoins me répugnoit
horriblement pour l ’un d’eux. Je déchirai
ma chemise , et j’en fis des bandages avec
lesquels je rapprochai et soutins , le mieux
qu’il me fut possible , les plaies du moribond.
Je traitai de même le bras de son
camarade. Mais comme il eût été dangereux
pour nous de rester trop long-tems
dans un lieu si voisin de la horde, je crus
prudent de m’en éloigner au plutôt. Je fis
placer les deux blessés , chacun sur un de
Tome I I I . Y