se portèrent en foule autour de notre tente :
c était un tumulte, une alerte générale dans
tout Syouah ; il semblait que nous avions
porté chez eux le désordre et l’épouvante. Les
cheykhs furent obligés, pour disperser les ras-
semblemens, de publier des ordonnances. On
proclama dans Syouah la défense expresse aux
habitans de s’approcher de nous, et il fut ordonné
quà I exception de Yousef, tous ceux qui
seraient trouvés, avec moi seraient condamnés à
une amende de cent soixante mesures* de dattes
[environ deux quintaux] ; une amende beaucoup
plus forte était imposée à tous ceux qui nous
diraient des injures. Ces dispositions me donnèrent
aussitôt à juger du pouvoir des cheykhs
sur le peuple, car il se retira soudain, et nous
restâmes dans un profond silence, entièrement
isolés. Sous prétexte de nous être agréables ,, les
cheykhs agissaient en cela selon leurs intérêts 5
ne voulant pas nous laisser connaître leur pays,
ils devaient s’efforcer d’éloigner de nous les habitans.
Cependant le peuple, après nous avoir
quittés, se rendit sur la place du conseil, en sollicitant
des explications. Les cheykhs s’y réu-
Petits paniers qni contiennent à-peu-près une livre et quart
de dattes.
nirent : je fus appelé avec mon interprète. Dix ou
douze principaux cheykhs étaient en ligne, sur
un banc coupé dans le roc : derrière eux étaient
d’anciens cheykhs; tout le peuple était debout,
rangé en cercle : au milieu, une natte jetée à terre
m’était destinée. Je pris ma place, assailli des regards
de la populace ; pas une femme n était dans
la troupe : bientôt un profond silence régna. La
première question qu’on m adressa fut de savoir
par qui j’étais envoyé. Je répondis, par Mohammed
Aly. On me demanda mon firman, et je
n’en avais point, puisque le pacha était en Nubie
lorsque j’avais quitté le Caire ; je n avais vraiment
à leur présenter que la lettre de Korfosch,
bey du Fayoum : mais comptant un peu sur
l’ignorance des cheykhs, et sans me déconcerter,
je joignis à la lettre du bey un long firman de
Mohammed-Aly que j’avais eu depuis deux ans
pour aller dans l’ancienne Troglodytique et à
Souakin sur la mer Rouge. Ils regardèrent à peine
le petit papier du bey, n’y voyant qu’un très-petit
cachet ; tandis que sur l’autre, le grand cachet du
pacha fixa tous les yeux. Un moment je fus inquiet
: le cheykh Aly, le plus instruit d’entre eux,
avait fait quelques études au Caire ; il chercha à
lire le firman arabe ; mais il ne put y parvenir.