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 où iis s’embarquent pour Geddah ;  c’est  la  route  
 directe.  Le  10,  nous  passâmes devant Kéné,  
 et  le lendemain à Clous, où  je m’arrêtai  un instant. 
   J ’appris  que  le  kâchef  était  changé,  et  
 qu’il  partait pour  l’oasis  du  Dakhel  :  c’était  ce  
 Hamed  q u i,  quelques  mois  auparavant,  s’était  
 signalé  par  un  trait  de  la plus  atroce  barbarie. 
 Hamed  était  un  jeune  favori  du pacha  et  le  
 servait  avec  zèle  :  c’était  lui  qui  avait  le  privilège  
 de lui  présenter  le  café. Le  pacha,  par  
 reconnaissance et par affection ,  lui  donna  pour  
 épouse une  de  ses  esclaves,  belle  Géorgienne,  
 et  bientôt  il  le  fit  kâchef.  Contre  l’usage  des  
 Turcs,  dit-on, Hamed  était  éperdument  amoureux  
 de sa femme. Elle tomba malade ; et comme  
 il  n’y  avait  pas  de  médecin à  Qotis,  son  mari  
 l’envoya  à Syout,  afin qu’elle pût y recevoir les  
 soins  de  celui  de Mohammed bey. On prétend  
 que là  cette  femme  eut  des  entrèvues  avec  un  
 favori  :  le bey,  bientôt informé  de  sa conduite,  
 lui  fit  préparer  une  cange  et  l’obligea  de  retourner  
 à Clous ;  en même temps,  il expédia un  
 courrier  à  Hamed  kâchef ,  pour  lui  faire  part  
 du  retour  de  sa  femme  ,  et  de  la  conduite  
 qu’elle  avait  tenue à  S yout,  en  l’engageant  à  
 se  venger,  La  punition  des  femmes  infidèles 
 consiste ordinairement  à  les  lier  dans  un sa c,  
 et à les jeter ainsi dans le fleuve : mais le kâchef,  
 trouvant trop commun ce moyen de vengeance,  
 en inventa un  autre d’üne barbarie plus raffinée.  
 Sa  femme  arrive ;  il la  reçoit  avec  les plus tendres  
 empressemefts ; et loin de lui faire le moindre  
 reproche,  il  célèbre  son  retour  par  des  fêtes  
 brillantes ;  festins,  danse , musique,  tout  respi-  
 roit la joie dans sa maison. Le soir du troisième  
 jour  de  1 arrivée  de  son  épôuse,  il  entre  dans  
 son appartement:  cette  femme, d’une beauté ravissante  
 , était couchée sur un sopha,  livrée à un  
 doux sommeil.  Il s’approche à pas len ts,  et contemple  
 ses  charmes  ên  silence;  le  ressentiment  
 qùi  l’anime  est un instant  encore  combattu  par  
 l’amour : mais  bientôt celui-ci fait place  à toutes  
 les fureurs,  à  toute  la  rage  de  la jalousie;  c’est  
 dans  le  sang  d’une  épouse  adorée  qu’il prétend  
 laver la honte quelle  a  imprimée  sur  son front.  
 Il saisit un  pistolet,  et lui  en tire un coup dans la  
 tête;  elle  pousse  des  cris  plaintifs ;  son  enfant,  
 éveillé, accourt auprès d’elle.  Quel spectacle déchire  
 son  jeune  coeur  !  les  cris,  les prières  de  
 cette innocente créature,  lie  peuvent  retenir  le  
 bras  du  barbare;  avee  soft  kandjar  il  achève  
 darracher  la vie  à  cette  malheureuse,  victime 
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