274 VOYAGE À MÉROÉ,
où iis s’embarquent pour Geddah ; c’est la route
directe. Le 10, nous passâmes devant Kéné,
et le lendemain à Clous, où je m’arrêtai un instant.
J ’appris que le kâchef était changé, et
qu’il partait pour l’oasis du Dakhel : c’était ce
Hamed q u i, quelques mois auparavant, s’était
signalé par un trait de la plus atroce barbarie.
Hamed était un jeune favori du pacha et le
servait avec zèle : c’était lui qui avait le privilège
de lui présenter le café. Le pacha, par
reconnaissance et par affection , lui donna pour
épouse une de ses esclaves, belle Géorgienne,
et bientôt il le fit kâchef. Contre l’usage des
Turcs, dit-on, Hamed était éperdument amoureux
de sa femme. Elle tomba malade ; et comme
il n’y avait pas de médecin à Qotis, son mari
l’envoya à Syout, afin qu’elle pût y recevoir les
soins de celui de Mohammed bey. On prétend
que là cette femme eut des entrèvues avec un
favori : le bey, bientôt informé de sa conduite,
lui fit préparer une cange et l’obligea de retourner
à Clous ; en même temps, il expédia un
courrier à Hamed kâchef , pour lui faire part
du retour de sa femme , et de la conduite
qu’elle avait tenue à S yout, en l’engageant à
se venger, La punition des femmes infidèles
consiste ordinairement à les lier dans un sa c,
et à les jeter ainsi dans le fleuve : mais le kâchef,
trouvant trop commun ce moyen de vengeance,
en inventa un autre d’üne barbarie plus raffinée.
Sa femme arrive ; il la reçoit avec les plus tendres
empressemefts ; et loin de lui faire le moindre
reproche, il célèbre son retour par des fêtes
brillantes ; festins, danse , musique, tout respi-
roit la joie dans sa maison. Le soir du troisième
jour de 1 arrivée de son épôuse, il entre dans
son appartement: cette femme, d’une beauté ravissante
, était couchée sur un sopha, livrée à un
doux sommeil. Il s’approche à pas len ts, et contemple
ses charmes ên silence; le ressentiment
qùi l’anime est un instant encore combattu par
l’amour : mais bientôt celui-ci fait place à toutes
les fureurs, à toute la rage de la jalousie; c’est
dans le sang d’une épouse adorée qu’il prétend
laver la honte quelle a imprimée sur son front.
Il saisit un pistolet, et lui en tire un coup dans la
tête; elle pousse des cris plaintifs ; son enfant,
éveillé, accourt auprès d’elle. Quel spectacle déchire
son jeune coeur ! les cris, les prières de
cette innocente créature, lie peuvent retenir le
bras du barbare; avee soft kandjar il achève
darracher la vie à cette malheureuse, victime
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