
” plufieurs de fes defcendans, a laifle fon nom dans un oubli qui l’a fait
« prendre pour le Dieu des morts & de l’oubli. Il eft aifé de voir fur quoi
■ » eft fondée l’Hiftoire fcandaleufe de Saturne, traité injurieufement par
« 1 un de fes fils. Il eft auffi aifé de comprendre que la licence des Saturnales
» venok d’une mémoire peu refpedueufe de livrelTe de Saturne, c’eft-à-dire '
» de Noé. La févère punition de celui qui avoit vu îa nudité de N o é , a lailfé
» p rm i les Païens la mémoire de l’indignation de Saturne , q u i, félon Calli-
■» macjue,fit une Loi irrévocable, que quiconque aurait une pareille témérité
” a 1 egard des D ieu x , perdrait aulïi-tôt la vue.
» Quel rapport ne trouve-t-on point entre Moyfe & Bacchus ; & ainfî
» de beaucoup d’autres ? Voilà donc certainement une des fources de
» la Fable , qui eft l’altération des faits & des événemens de l ’Hiftoire
n> Sainte.
» Le miniftère des Anges à l’égard des hommes, en a été une autre. Dieu 1
» qui avoit aflocié les Anges à fa nature fpirituelle, à fon intelligence,.àfon
n immortalité, a voulu encore les affocier a fa Providence dans le trouver-*
» nement du Monde, foit en ce qui concerne la nature desÉlémens, foie
" en ce qui a rapport a la conduite des Peuples. L ’Écriture nous parle des
15 Anges cjui prefident aux eaux3 aux vents} aux foudres 3 aux tonnères, aux
sî tremblemens de terre. Elle nous en montre d autres qui, armés d’une épée
» foudroyante ravagent toute l’Egypte, font périr par la pefte , dans Jéru-
» falem, un Peuple innombrable, & exterminent l’armée d’un Prince impie;
» Il y eft fait mention d’un Ang e, Prince & Protecteur de l’Empire des
» Perfes ; d’un autre, Prince de celui des Grecs ; de l’Archange Michel
•> Prince du Peuple de Dieu. Le miniftère des Anges eft auffi^ancien que
» le Monde, comme on le voit par le Chérubin placé à la porte du Paradis
» Terreftre, pour en garder l’entrée.
” Noe & les Patriarches étoient parfaitement inftruits de cette vérité }
» qui les interelfoit très-vivement ; & ils avoient eu foin , fans doute , d’en
“ inftruire leurs familles, qui peu-à-peu perdant les idées plus pures & plus
» fpi rituelles d une Divinité cachée & invifible, ne furent plus attentifs
” quaux Miniftres de fes bienfaits.& de fes vengeances. Il a pu arriver de-là
» que les hommes fe foient formé l’idée dei Dieu x , dont les uns préfidoienc
» aux fruits de la Terre, d’autres aux fleuves, ceux-là à la guerre, ceux-ci
»> a L paix , & ainfi de tout le refte ; des Dieux dont le pouvoir & le mi-
” niftere etoient bornes a certaines Contrées 8c à certains Peuples ; mais qui
» tous étoient fournis à l’autorité fuprême.
” Un autre principe de Religion, gravé généralement dans l ’efprit de
” *^us ^es Peuples, a donné lieu encore à la multiplicité des Divinités
” Païennes s| c eft la perfuafion où l’on a toujours été que la Providence
» Divine prefide a tous les événemens humains grands ou petits, & qu’aucun,
» fans exception, n échappe à fon attention ni a fes foins. Mais les hommes
" effrayes du detail immenfe où il falloir que la Divinité defeendît, ont cru
» la devoir foulager, en donnant à chaque Dieu en particulier une fonétioij
” propre & perfonnelle -.fingulis rebus propria difperrientes officia Numinum. Le
» loin de la campagne auroit donné trop d’affaires à un Dieu feul ; les terres
» etoient confiées al un, les montagnes à l’autre , les collines à un troifième,
» les vallees a un autre. Encore Saint Auguftin compte une douzaine de D ivi-
» nites differentes toutes occupées au tour d’un chalumeau de bled, donc
» chacune d elles, félon fa deftination, prend un foin particulier dans les
D E S T Y P É S D É S M É D A I L L E S . 9 t
” différens temps , depuis le premier moment que la femence a été jettée en
-> terre , jùfqu’a cë que le1 bled foit parfaitement mûri.
» Outre la foule de Dieux du basi étage deftinés à ces mêmes fondrions,
» il y en a d’autres, dit Saint Auguftin, plus côhfidérables, & d’un rang plus
” eleve, parce qu apparemment ils ont une plusmotable part au gouvernement
» du Monde.
» Mais, ajoute le même Père, ce font cës Dieux-là même plus importans
» & plus renommés que la Fable a plus décriés & diffamés, en leur attribuant
les-crimes les plus honteux & les défordres les plus déteftables, des meurtres
» des adultères, des inceftes ; au lieu que par rapport à ces petits D ieu x , leur
>> obfcurité & leur baflefle, en lés' laiffant dansT’oubli, a mis leur honneur en
» fûrete. Et ceci a encore été une fource féconde de firiions, que la Corrup-
•> tion du coeur l’homme a fournies à la Fable, pour pallier & exeufer les
” défordres les plus affreux, par l’exemple des Dieux-memes.
» Il n’y avoit jïoint d’infamie qui ne fut autorifée & confacrée par le culte
» qu’on reridoit a certains Dieux. On chantoit dans la fôlemnité de la Mère
.. des Dieux des chanfons dont la-mere dun Comédien aurait rougi ÿ 8c
31 Scipion N afica, qui fut choifi par le Sénat, comme le plus honnête homme
» de la^Répubhqué , pour aller recevoir fa Statue , auroit été bien fâché que
» fa mère eût été Déeffe à ce prix; & eût tenu la place de C y bêle. ^
» Les Philofophes blâmoient toutes ces impures Cérémonies, mais timi-
demént1, à voix baffe, & feulement dans l’enceinte de leurs Écoles.’ Reli-
-» gieux parmi leurs^ difciples, ilsTuivoient le Peuple dans leurs Temples &
« aux Théâtres, ou ces abominations avoient lieu : 8c Sénéque, dans un
” ouvrage que nous avons perdu, où il inveéfivoit avec la dernière force
» contre ces fuperftitions facrileges , déclare pourtant que le Sage s’y confor-
« mera au dehors, pour fuivre les Éoix de l’Etat, quoiqu’il fâche bien qu’un
I tel culte, loin de plaire aux Dieux, rieft capable que de les irriter, . . .
>> O n peut mettre dans ce nombre ( par rapport à la Fable , & à la mul-
»> tiplicite des Dieux ) , le fentiment d’admiration ou de reconnoiflance
» qui a porte les hommes à attacher l’idée de Divinité à tout ce qui frappoit
■» leur vue, ou qui les touchoit de près, ou qui paroifloit leur procurer quelque
»> utilité -, tels que font le Soleil, la L u n e , les Étoiles ; les pères à l’égard de
« leurs enfans, & les enfàns à l’égard de leurs pères ; les perfonnes qui avoient
>> invente ou perfeérionné les Arts utiles au genre humain j les Héros qui
» s etoient diftingués dans la guerre par un courage extraordinaire, ou qui
=> avoient purgé la Terre des brigands ennemis du repos public ; enfin tous
ceux qui, par quelque vertu ou par quelque aéfion éclatante , paroiffoient
au-deffus du commun des hommes ; & l’on fent bien, fans que j’en avertilfe,
que 1 Hiftoire profane , auffi bien que la facrée, a donné lieu à tous ces
demi-Dieux, & a ces Héros que la Fable a placés dans le C ie l, en réunifiant
» fouvent fur la tete & fous le nom d’un feul des aérions très-féparées, &
” pour les temps, & pour les lieux, & pour les perfonnes.
Voila donc 1 Origine des faux Dieux trouvée, par M. Rollin, dans l’H iftoire
facrée & profane, altérée & déguifée par les fables & les fi riions Poétiques.
Pafions a 1 autre Syftême, qui eft celui de M. Pluche ; nous le donnerons
auffi d’après cet Auteur.
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