
la lignification. Ces noms font celui de Sudec, qui fignifie le Jufte ; celui de
Crone, qui fignifie la Gloire , la Dignité , la Majefté , ou la Couronne ;
celui de Chiun ou Ckéunna, qui’ fignifie l’affemblée des Prêtres j celui de
Soterin, ou de Setrun, qui fignifie les Juges, ou l’execution des Jugemens.
Mais que vouloit-on annoncer au Peuple par cet Horus à barbe, & à
faux, tantôt lié , tantôt libre, & .ayant tant de noms ? En voici le dénouement.
Les Egyptiens avoientun Collège nombreux de Prêtres élus ou tirés au fort:
il étoitcompofédes premiers nés des familles. Ces Prêtres avoient leur demeure
dans un endroit nomméle Labyrinthe, nom qui fignifie une Tour. Comme leur
principale fonction étoit d’étudier le C ie l, & d’en examiner les mouvemens,
cette Tour étoit diftribuée en autant d’appartemens qu’il y avoit de mois
dans l’Année ; on y plaçoit les figures fignificatives qui avoient rapport aux
Signes, Conftellations, Travaux, Occupations, Affaires & Fêtes qui con-
venoient à ces mois. Là les Anciens montroient aux jeunes Prêtres ces figures
avec tous leurs fymboles, attributs & ornemens, pour leur en apprendre la
lignification. Ils copioient ces figures , en les peignant, ou en les traçant,
ou en les gravant fur des efpèces d’enfeignes, pour les expofer aux yeux
du Public, afin de lui annoncer ce qu’il avoit à faire à la vue de ces Signes
Symboliques. Une autre fonétion de ces Prêtres étoit d’étudier les L o ix , &
de rendre la Juftice.
Cette étude, avec celle du Cie l & des Symboles, demandoit beaucoup
de temps : aufli pour empêcher qu’ils ne fuffent interrompus par le Public,
ni tentes eux-mêmes de fortir & de fe diifiper, on les enrermoit dans cette
T o u r , & ils n’en fortoient qu’à un certain temps de l’Année, qui répondoit
à notre mois de M a i, faifon la plus riante & la plus agréable. C ’eût alors
qu’ils fe partageoient pour rendre alternativement la Juftice ; enforte que les
uns veilloient & travailloient à l’examen & à la déçifion. des affaires, tandis
que les autres dormaient & fe repofoient.
Dès que ce temps de rendre la Juftice approchoit, on l’annonçoit au
Peuple, en lui montrant la figure dont nous parlons, c’eft-à-dire celle d’un
Horus vieux, avec une faux, mais délié & non garrotté. C ’éroit là une figure
parlante poui quiconque avoit les premières notions de l’Ecriture Hiéro-
glyfique ; car d’abord l’Horus-Saturne préfenté fous la forme d’un homme
lié & garrotté, comme on le montroit pendant jnrefque toute l’Année, marquent
l’état du Collège des Prêtres, qui, attaché à l’étude pendant ce temps,
ne pouvoient fortir du labyrinthe où ils étoient retenus. L ’Horus-Saturne
libre & délié annonçoit enfuite la fortie des Prêtres, & le changement de
fonctions auxquelles ils alloient vaquer au dehors , en écoutant le Public ,
& en jugeant chacun félon la Juftice & les Loix. La faucille ou la faux
d’Horus dénotoit le temps auquel ces Miniftres alloient vaquer à ce devoir
important ; c’é toit, dans le Pays, le temps de la fénaifon & de la moiflôn.
L ’air vieux qu’on lui donnoit, annonçoit la maturité, la fageffe & la prudence
qui conviennent à des Vieillards, à des Juges, à des Prêtres. Si l’on
reprefentoit cette figure avec deux yeux ouverts & deux fermés, deux ailes
. etendues & deux autres abaiffées, c’étoit pour marquer cette alternative de travail
& de repos, établie entre les Prêtres qui fe fucçédoient jour & nuit dans
l’exercice de la Juftice , pour expédier les affaires du Peuple & de l’É tat,
fans faire languir perfonne par des retardemens toujours ruineux. Voilà Sa-^
turne dans fa première deftination, & dans fon origine.
Dès quon eut perdu de vue la lignification du fymbole principal, & de
tous ceux qui lui etoient en quelque façon fubordonnés, on prit cette figure
pour celle d’.un R o i , & enfuite pour celle d’un D ieu , auquel on chercha
un Père une Mère & des Enfans : on lui fuppofa des inclinations, des paf-
fions des a étions, un Royaume & des Sujets. Ses attributs furent pris pour
des marques de fort pouvoir, & pour des inftrumens dont il fe fervoit pour
l’exercer a. fon g ré , même contre fon Père. Ses noms fervirent encore à com-
pofer l’Hiftoire de fa naiffance & de fa vie. La plus légère attention fuffira
pour en être convaincu. ^ ^
Nous avons dit qu’outre le nom de Saturne on avoit donné à la figure
fymbolique, dont il s’agit ic i, ceux de Sudec, de Crone, de Chiun, ou
Chéunna, de Soterin ou de Setrun ; nous avons ajouté que ces noms avoient
tous leur lignification ; mais la véritable ayant été oubliée, on leur en donna
une autre, ainlî qu’aux ornemens & attributs, fuivant la variété des idées des
Peuples différens qui l’adoptèrent pour leur Dieu.
Les G re c s , par exemple , voyant que le nom de Crone avoir quelque
rapport avec celui de Chrone ou de Chronos, qui fignifie le Temps, dans leur
langue, imaginèrent qu’il étoit non feulement le Dieu du Temps, mais le
Temps même, & rapportèrent à cette idée l’âge, l’air, & la faux de la figure.
Son âge &c fon air de vieillard, félon eux, convenoient au Temps ; la faux lui
était donnée pour marquer que le Temps coupe, fauche, détruit tout, juf-
qu’aux pierres les plus dures ; aufli fuppofa-t-on que Saturne en avoir détruit
en Syrie : de p lus, on le repréfenta fous le fymbole d’un Serpent, q u i,
enfe mordant la queue, formoit un cercle, figure du Temps, dont une
partie faifit toujours l’autre.
L e nom de Sudec , qui fignifie le Jufle, fit penfer à d’autres qu’il étoit
ou Noé ou Abraham. Ceux qui crurent qu’il étoit Noé lui donnèrent
trois fils qu’ils fubftituèrent à Sem, Cham & Japhet, & qu ils nommèrent
Jupiter, Neptune & Pluton : ils le firent Inventeur du labourage, de la
charrue, des plantations, de la vigne ; & ce fut la raifon pour laquelle, au
lieu de la faux, on lui mit quelquefois une faucille ou une ferpette a la main.
C ’eft de ces différens attributs que fortirent toutes les Fables ridicules qui
lui firent mutiler fon Père, dévorer fes enfans, partager fes États & tout le
Monde entre les trois qu’on vient de nommer, & que Rhéa fa femme avoit
dérobés à fa voracité. Ceux qui le regardèrent comme Abraham, que l ’Ecriture
Sainte appelle le Jufte par excellence, le crurent amateur des viélimés
humaines ; & en conféquence ils fe firent une loi barbare & une coutume
impie de lui immoler tous les ans quelques hommes ou enfans, comme pour
imiter le facrifice que ce Père des Croyans avoit fait à Dieu, de fon fils
unique, par obéiffance, & dans la difpofition la plus parfaite à fes ordres.
Le nom de Soterin ou de Setrun , ou de Saturne , qui tous trois fignî-
fioient ou Y Exécution, ou les Exécuteurs des Jugemens , confirmèrent
certains Peuples dans l’idée qu’ils fe firent de Saturne comme d’un Dieu
vengeur & fanguinaire, à qui les viétimes humaines étoient les plus agréables.
C e fut ainfi qu’en abufant des fymboles les plus utiles &c des noms qu on
ne leur avoit donnés que pour les faire mieux entendre, on multiplia le
nombre des Dieux à qui on prêta des a étions des inclinations totalement
oppofées les unes aux autres, fans s’embaraffer fi on ne fàifoit pas plutôt des
monftres que des Dieux , car en fe livrant à des idées tirees des differens
attributs dé cette figure, on fit en mêfne temps de Saturne le Père des Dieux ,