à i’iihïftre Compagnie (a) à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir
depuis long - temps, une nouvelle marque de
confédération ; ma reconnoiffance , quoique partagée,
n’en fera pas moins vive : mais comment Satisfaire au
devoir qu'elle, m’impofe en ce jour! je n’ai, Mefîïeurs,
à vous offrir que votre propre bien : ce font quelques
idées fur le ftyle que j’ai puifées dans vos ouvrages ; c ’efl
en vous lifànt, c ’efl: en vous ^admirant qu’elles ont été
conçues, c ’eft en les foumettant à vos lumières qu’elles
fo produiront avec quelque fuccès.
II s’eft trouvé dans tous les temps des hommes qui
ont fu commander aux autres par la puiffance de la parole.
C e n’eft néanmoins que. dans les fiécles éclairés que l ’on
a bien écrit & bien parlé. La véritable éloquence fuppofe
l’exercice du génie & la culture de l ’efprit. Elle eft bien
différente de cette facilité naturelle de parler qui n’eft
qu’un talent, une qualité accordée à tous ceux dont les
paflïons font fortes, les organes fouples & l ’imagination
prompte. Ces hommes fentent vivement, s’affeélent de
même ; le marquent fortement au dehors ; & , par une
imprefïïon purement mécanique, ils tranfmettent aux
autres leur enthoufiafme & leurs affeélions. C ’eft le corps
qui parle au corps ; tous les mouvemens, tous les fignes
concourent & fervent également. Que faut-il pour émouvoir
la multitude & l’entraîner ! que faut-il pour ébranler
la plupart même des autres hommes & les perfùader ï un
(a) L ’Académie royale des Sciences , M. de Buffon y a été reçu
en 1733 , dans la claflê de Mécanique.
ton véhément & pathétique, des geftes expreflifs & .
fréquens, des paroles rapides & fonnantes. Mais pour
le petit nombre de ceux dont la tête eft ferme, le goût
délicat & le fens exquis, & qui comme vous, Meffieurs,
comptent pour peu le ton, les geftes & le vain fon des
mots ; il faut des chofes, des penfées, des raifons ; il
faut fàvoir les préfènter, les nuancer, les ordonner: il
ne fuffit pas de frapper l ’oreille & d’occuper les yeux,
il faut agir fur l’arne & toucher le coeur en parlant à
l’efprit.
L e ftyle n’eft que l’ordre & le mouvement qu’on met
dans fos penfées. Si on les enchaîne étroitement, fi on
les ferre; le ftyle devient ferme, nerveux & concis; fi
on les laide fo fuccéder lentement, & ne fo joindre qu’à
la faveur des mots, quelqu’élégans qu’ils foient, le ftyle
fora diffus, lâche & traînant.
Mais avant de chercher l’ordre dans lequel on pré-
fentera fos penfées, il faut s’en être fait un autre plus
général & plus fixe, où ne doivent entrer que les premières
vues & les principales idées : c ’eft en marquant
leur place fur ce premier plan qu’un fojet fora circonfcrit,
& que l’on en connoîtra l’étendue ; e’eft en fo rappelant
fans ceffe ces premiers linéamens, qu’on déterminera les
juftes intervalles qui féparent les idées principales, & qu’il
naîtra des idées acceffoires & moyennes qui forviront à
les remplir. Par la.force du génie, on fo repréfontera
toutes les idées générales & particulières fous leur véritable
point de vue; par une grande fineffe de difcernemenr,
A ij