près qu’eux de la mort ; ce n’eft que par notre arithmétique
que nous en jugeons autrement ; mais cette même
arithmétique bien entendue, nous démontre que dans
notre grand âge nous fournies toujours à trois ans de
diftance de la mort, tant que nous nous portons bien;
que vous autres jeunes gens vous en êtes fouvent bien
plus près, pour peu que vous abufiez des forces de
votre âge; que d’ailleurs, & tout abus égal, c ’eft-à-dire,
proportionnel, nous fommes auffi fûrs à quatre - vingts
ans de vivre, encore trois ans, que vous l’êtes à trente
ans d’en vivre vingt-fix. Chaque jour que je me lève
en bonne lànté, n’ai-je pas la jouiffance de ce jour
auffi préfente, auffi plénière que la vôtre l Ir 'je conforme
mes mouvemens, mes appétits, mes defirs aux
feules impulfions de la fage Nature, *he fuis-je pas auffi
fage & plus heureux que vous! ne fuis-je pas même
plus fur de mes projets, puifqu’elle me défend de les
étendre au-delà de trois ans ! & la vue du palfé qui
caufe les regrets des vieux fous ne m’offre-t-elle pas
au contraire des jouiffances de mémoire, des tableaux
agréables, des images précieufes qui valent bien vos objets
de plaifir ! car elles font douces, ces images, elles font
pures, elles ne portent dans l’ame qu’un fouvenir aimable
; les inquiétudes, les chagrins, toute la trille
cohorte qui accompagne vos jouiffances de jeuneffe,
diljjaroiffent dans le tableau qui me les reprélènte; les
regrets doivent dilparoître de même, ils ne font que les
derniers élans de cette folle yanité qui ne yieillit jamais.
N ’oublions pas un autre avantage ou du moins une
forte compenfation pour le bonheur dans l’âge avancé;
c’eff qu’il y a plus de gain au moral, que de perte au
phyfique ; tout au moral elt acquis ; & fi quelque chofo
au phyfique elt perdu , on en ell pleinement dédommagé.
Quelqu’un demandoit au philofophe Fontenelle, âgé
de quatre-vingt-quinze ans, quelles étoient les vingt
années de là vie qu’il regrettoit le plus; il répondit qu’il
regrettoit peu de choie, que néanmoins l’âge où il avoit
été le plus heureux étoit de cinquante-cinq à foixante-
quirize ans; il fit cet aveu de bonne foi, & il prouva
fon dire par des vérités lènfibles & confolantes. A
cinquante - cinq ans la fortune ell établie, la réputation
faite, la confidération obtenue, l’état de la vie fixe,
les prétentions évanouies ou remplies, les projets avortés
ou mûris, la plupart des pallions calmées ou du moins
refroidies, la carrière à peu-près remplie pour les travaux
que chaque homme doit à là foeiété, moins d’ennemis
ou plutôt moins d’envieux nuifibles , parce que le contrepoids
du mérite ell connu par la voix du public; tout
concourt dans le moral à l’avantage de l ’âge, jufqu’au
temps où les infirmités & les'autres maux phyfiques,
viennent à troubler la jouiffance tranquille & douce de
ces biens acquis par la fageffe, qui lèuls peuvent faire
notre bonheur.
L ’idée la plus trille, c ’eft-à-dife, la plus contraire
au bonheur de l’homme, ell la vue fixe de fa prochaine
fin, cette idée fait le malheur de la plupart des vieillards,