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R É P O N S E à M. le Maréchal D u c DE DURAS,
le jour de fa réception à l ’Académie Françoife,
le i j mai 177J.
O N S I E U R ,
A u x loix que je me fuis prefcrites fur l’éloge dans le
Difcours précédent, il faut ajouter un précepte également
néceffaire ; c ’eft que les convenances doivent y être fenties
& jamais violées; le fèntiment qui les annonce doit régner
par-tout, & vous venez, Monfieur, de nous en donner
l ’exemple. Mais ce tadf attentif de l ’efprit qui fait fentir les
nuances des fines bienféances, sefLil un talent ordinaire
qu’on puiffe communiquer, ou plutôt n’eft-il pas le dernier
réfùltat des idées, l ’extrait des fèntimens d’une ame
exercée fur des objets que le talent ne peut faifirî
La Nature donne la force du génie, la trempe du
caraétère & le moule du coeur; l ’éducation ne fait que
modifier le tout: mais le goût délicat, le taét fin d’où
naît ce fèntiment exquis, ne peuvent s’acquérir que par
un grand ufàge du monde dans les premiers rangs de la
fociété. L ’ufàge des livres, la folitude, la contemplation
des oeuvres de la Nature, l’indifférence fur le mouvement
du tourbillon des hommes, font au contraire les feuls
élémens de la Yie du Philofophe. Ici l ’homme de Cour
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a donc le plus grand avantage fur l ’homme de Lettres;
il louera mieux & plus convenablement fon Prince & les
Grands, parce qu’il les connoît mieux, parce que mille,
fois il a fenti, fàifi ces rapports fugitifs que je ne fais,
qu’entrevoir.
Dans cette Compagnie néceffairement compofée de
l’élite des hommes, en tout genre, chacun devroit être
jugé & loué par fès pairs; notre formule en ordonne,
autrement; nous fommes prefque toujours au-deffus ou
au-deffous de ceux que nous avons à célébrer ; néanmoins
il faut être de niveau pour fe bien connoître ; il faudrait
avoir les mêmes talens pour fè juger fans méprife. Par
exemple, j’ignore le grand art des négociations, & vous
le poffédez ; vous l’avez exercé, Monfieur , avec tout
fùccès ; je puis le dire. Mais il m’efl impoffible de vous
louer par le détail des chofes qui vous flatteraient le plus :
je fais feulement, avec le public,, que vous avez maintenu
pendant plufieurs années ,-dans des temps difficiles,
l’intimité de l’union entre les deux plus grandes Puiflances
de l’Europe ; je fais que devant nous repréfenter auprès
d’une Nation fière, vous y avez porté cette dignité qui
fe fait refpeéter, & cette aménité qu’on aime d’autant
plus qu’elle fe dégrade moins. Fidèle aux intérêts de votre
Souverain, zélé pour fà gloire, jaloux de l ’honneur de
la France ; fans. prétention fur celui de l ’Efpagne, fans
mépris des ufages étrangers., connoiflant également les
différens objets de la gloire des deux peuples, vous en
avez augmenté l’éclat en les réunifiant.