Mais il eft aifé de s’en convaincre entièrement par
une épreuve facile: faites placer la perfonne louche à
un beau jour, v is -à -v is une fenêtre, préfèntez à fes
yeux un petit objet, comme une plume à écrire, &
dites-lui de la regarder; examinez fes yeux, vous recon-
noîtrez aifément l’oeil qui eft dirigé vers l’objet, couvrez
cet oeil avec la main , & fur le champ la perfonne qui
croyoit voir des deux yeux, fera fort étonnée de ne plus
voir la plume, & elle fera obligée de redreffer fon autre
oeil & de le diriger vers cet objet pour l ’apercevoir;
cette obfèrvation eft générale pour tous les louches,
ainfi il eft fur qu’ils ne voient que d’un oeil.
Il y a des perfonnes qui fans être abfolument louches;
ne lailfent pas d’avoir une faufle direélion dans l’un des
yeu x, qui cependant n’eft pas alfez confidérable pour
caufèr une grande difformité, leurs deux prunelles vont
enfèmble, mais tes deux axes optiques, au lieu d’être
inclinés proportionnellement à la diftance des objets-,
demeurent toujours un peu plus ou un peu moins inclinés,
ou même prefque parallèles ; ce défaut qui eft affez
commun, & qu’on peut appeler un faux trait dans les
yeux, a fouvent pour caufè l’inégalité de force dans lés
yeux, & s’il provient d’autre chofe, comme de quel-
qu’accident ou d’une habitude prifè au berceau, on
peut s’en guérir facilement. Il eft à remarquer que ces
efpèces de louches ont dû voir les objets doubles dans
le commencement qu’ils ont contraélé cette habitude,
de la même façon qu’en voulant tourner. les yeux
a l ' H i s t o i r e N a t u r e l l e 435
comme les louches, on voit les objets doubles avec
deux bons yeux.
En effet, tous les hommes voient les objets doubles,
puifqu’ils ont deux.yeux, dans chacun defquels fe peint
une image, & ce n’eft que par expérience & par habitude
qu’on apprend à les juger fimples, de la même façon
que nous jugeons droits les objets qui cependant font
renverfés fur la rétine ; toutes les fois que les deux images
tombent fur les points correfpondans des deux rétines, fur
lefquels elles ont coutume de tomber, nous jugeons les
objets fimples, mais dès que l’une ou l’autre des images
tombe fur un autre point, nous les jugeons doubles.
Un homme qui a dans les yeux la faufle direélion ou le
faux trait dont nous venons de parler, a dû voir les
objets doubles d’abord, & enfuite par l’habitude il les
a jugés fimples, tout de même que nous jugeons les
objets fimples, quoique nous les voyions en effet tous
doubles : ceci eft confirmé par une obfervation de M.
Folkes, rapportée dans les notes de M. Smith(d) ; il
aflure qu’un homme étant devenu louche par un coup
violent à la tête, vit les objets doubles pendant quelque
temps, mais qu’enfin il étoit parvenu à les voir fimples
comme auparavant, quoiqu’il fe fervît de fes deux yeux
à la fois. M. Folkes ne dit pas fi cet homme étoit
entièrement louche, il eft à croire qu’il ne l ’étoit que
légèrement, fans quoi il n’auroit pas pu fè fèrvir de fes
deux yeux pour regarder le même objet. J’ai fait moi-
(d) A compleat fyfthem of Optiks, vol. II .
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