Meilleurs, nous demandons la tolérance, accordons-là
donc , exerçons-Ià pour en donner l ’exemple. Ne nous
identifions pas avec nos Ouvrages ; difons qu’ils ont
pafle par nous, mais qu’ils ne font pas nous ; féparons-en
notre exiftence morale; fermons l ’oreille aux aboiemens
de la critique; au lieu de défendre ce que nous avons
fait, recueillons nos forces pour faire mieux; ne nous
célébrons jamais entre nous que par l’approbation; ne
nous blâmons que par le filence; ne faifons ni tourbe,
ni cotterie ; & que chacun pourfuivant la route que lui
fraie fon génie, puilfe recueillir fans trouble le fruit de
fon travail. Les Lettres prendront alors un nouvel elfor,
& ceux qui les cultivent un plus haut degré de confi dération
; ils feront généralement révérés par leurs vertus,
autant qu’admirés par leurs talens.
Qti’un Militaire du haut rang, un Prélat en dignité,
un Magiftrat en vénération ( i) , célèbrent avec pompe
les Lettres & les hommes dont les ouvragés marquent
îe plus dans la Littérature ; qu’un Miniftre affable & bien
intentionné les accueille avec diftinéftion, rien n’eft plus
convenable, je dirais rien de plus honorable pour eux-
mêmes , parce que rien n’eft plus patriotique. Que les
-Grands honorent le mérite en public , qu’ils expofent
nos talens au grand jour, c’eft les étendre & les multiplier
; mais qu’entr’eux les Gens de Lettres fe fuffoquent
d ’encens ou s’inondent de fiel, rien de moins honnête,
(i) M. de Maleshërbes à fa réception à l’Académie, venoit de
faire un très-beau Difcours à l'honneur des Gens de Lettres. rien
rien de plus préjudiciable en tout temps, en tous lieux :
Rappelons-nous l ’exemple de nos premiers maîtres ; ils
ont eu l ’ambition infenfée de vouloir faire fe&e. La
jaloufie des chefs, l’enthoufiafme des difciples, l ’opiniâtreté
des feélaires ont femé la difcorde & produit
tous les maux qu’elle entraîne à fa fuite. Ces feétes font
tombées comme elles étoient nées, vi&imes de la même
paffion qui les avoit enfantées ; & rien n’a furvécu:
l ’exil de la fàgeffe, le retour de l’ignorance ont été les
feuls & triftes fruits de ces chocs de vanité, qui, même
par leurs fîiccès, n’aboutiffent qu’au mépris.
L e digne Académicien auquel vous fuccédez,
Monfieur, peut nous fervir de modèle & d’exemple
par fon refpeél confiant pour la réputation de fe s confrères,
par fi liaifon intime avec fes rivaux; M. de
Belloi étoit un homme de paix, amant de la vertu,
zélé pour fa patrie, enthoufiafte de cet amour national
qui nous attache à nos Rois. Il eft le premier qui l’ait
préfènté fur la fcène, & qui, fans le fecours de la fiétion ,
ait intéreffé la Nation pour elle-même par la feule force
de la vérité de l ’hiftoire. Jufqu’à lui prefque toutes nos
pièces de théâtre font dans le coftume antique, où les
Dieux méchans, leurs Miniftres fourbes, leurs Oracles
menteurs, & des Rois cruels jouent les principaux rôles ;
les perfidies, les fuperftitions & les atrocités rempliffent
chaque fcène : qu’étoient les hommes fournis alors à de
pareils tyrans ! comment, depuis Homère , tous les Poètes
fo font-ils fervilement accordés à copier le tableau de ce
Supplément. Tome IV . F