comme des crimes, je me contins rigoureufement, en avouant
néanmoins à mon père que l’état eccléfiaftique n’étoit point ma
vocation ; mais il fut fourd à mes repréfentations, & il fortifia fes
vues par le choix d’un Directeur, dont l’unique occupation étoit
de former de jeunes Eccléfiaftïques, il me remit entre fes mains ;
je ne lui laiffaî pas ignorer l ’oppofition que je me fentois pour la
continence, il me perfuada que je n’en aurois que plus de mérite,.
& je fis de bonne foi le voeu de n’y jamais manquer. Je m’efforçois.
de chaffer les idées contraires, & d’étouffer mes defirs : je ne me
permettais ■ aucun mouvement qui eut trait à l’inclination de la
Nature; je captivai mes regards & ne les portai jamais fur une
perfonne du fexe; j’impofai fa même loi à mes autres fens; cependant
le befoin de la Nature fe faifoit fentîr fi vivement, que je faifois
des efforts incroyables pour y réfifter, & de cette oppofition, de
ce combat intérieur, il en réfultoit une flupeur ,. une efpèce
d ’agonie qui me rendoit femblabfe à un automate , & m otoit
jufqu’à la faculté de penfer. L a Nature autrefois fi riante à mes
y eu x , ne m’offroit plus que des objets triftes & lugubres; cette
trifteffè, dans laquelle je vivois, éteignit en moi ie defir de m’inf-
truire, & je parvins flupidement à l ’âge auquel il fut queftion de
fe décider pour la prêtrffe : cet état n’exigeant pas de moi une
pratique de la continence plus parfaite que celle que j ’avois déjà
obfervée, je me rendis aux pièds des autels avec cette pefanteur
qui accompagnok toutes mes aélinns; après mon voeu , je. me crus
néanmoins lié plus étroitement à celui de chafleté, & à i’obfervance
de ce voeu auquel je n’avois ci-devant été obligé que comme
fimpfe Chrétien : il y avoit une chofe qui m’avoit fait toujours
beaucoup de peine; l ’attention avec laquelle je veillois fur moi
pendant le jo u r , empêchoit les images obfcènes de faire fur mon
imagination une impreffion affez vive & affez longue, pour émouvoir
les organes de la génération au point de procurer l ’évacuation de
l ’humeur féminale ; mais pendant le fommeii la Nature obtenoit fon
foulagement, ce qui me paroiffoit un défordre qui m’affligeoit
vivement, parce que je craignois qu’il n’y eût de ma faute, en forte
que je diminuai confidérablement ma nourriture ; je redoublai fur-
tout mon attention & ma vigilance fur moi-même, au point que
pendant le fommeii, la moindre difpofition qui tendoit, à ce défordre
m’éveilloit fur le champ, & je l ’évitois en me levant en furfaut. Il
y avoit un mois que je vivois dans ce redoublement d’attention,
& j ’étois dans la trente-deuxième année de mon âge, lorfque tout-
à -coup cette continence forcée porta dans tous mes fens une
fenfibilité ou plutôt une irritation que je n’avois jamais éprouvée:
étant allé dans une maifon, je portai mes regards fur deux perfonnes
du fexe, qui firent fur mes yeux, & de-là dans mon imagination,
une fi forte impreffion, qu’elles me parurent vivement enluminées,
& refplendiffantes d’un feu femblable à des étincelles éleétriques ;
une troifième femme, qui étoit auprès des deux autres, ne me fit
aucun effet, & j ’en dirai ci-après la raifon ; je la voyois telle qu’elle
étoit, c’elt - à - dire, fans apparence d’étiiicelles ni de feu. Je me
retirai brufquement, croyant que cette apparence étoit un preltige
du démon-; dans ie relie de la journée, mes regards ayant rencontré
quelques autres perfonnes du fe x e , j ’eus .les mêmes illufions. L e
lendemain je vis dans la campagne des femmes qui me causèrent les
mêmes impreffions, & lorfque je fus arrivé à la v ille , voulant me
rafraîchir à- l ’auberge, le v in , le pain & tous les autres objets me
paroiffoient troubles & même dans une fituation renverfée. L e jour
fuivant, environ une demi-heure après le repas, je fentis tout-
à - coup dans tous mes membres, une contraélion & une tenfion
violentes, accompagnées d’un mouvement affreux & convulfif, femblable
à celui dont font fuivies les attaques d’épilepfie les plus
violentes. A cet état convulfif fuccéda le délire ; la faignée ne
m’apporta aucun foulagement ; les bains froids 11e me calmèrent que
pour un inllant: dès que la chaleur fut revenue, mon imagination
fut affiillie par une foule d’images obfcènes que lui fuggéroit le
befoin de la Nature. C e t état de délire convulfif dura plufieurs
G c c ij