R É P O N S E à M. Wa t e l e t , le jour
de fa réception à l’Académie Françoife,
lefamedi 1 7 janvier 1 76 1 ,
.M o n s i eu r *
S i jamais H y eut dans une Compagnie un deuil de
coeur, général & fincère, c ’ell celui de ce jour. M. de
Mirabaud auquel vous luccédez, Moniteur, n’avoit ici
que des amis, quelque digne qu’il fût d’y avoir des
rivaux: fouffrez donc que le fentiment qui nous afflige
paroifle le premier, & que les motifs dé nos regrets
précèdent les raifons qui peuvent nous confoler. M. de
Mirabaud, votre confrère & votre ami, Meilleurs, a
tenu pendant près de vingt ans la plume fous vos yeux;
il étoit plus qu’un membre de notre corps, il en étoit
le principal organe ; occupé tout entier du lèrvice & de
la gloire de l’Académie, il lui avoit conlàcré & lès jours
& lès veilles ; il étoit, dans votre cercle, le centre auquel
fe réunilfoient vos lumières qui ne perdoient rien de leur
éclat en paflant par là plume : connoilfant par un fi long
ulàge toute l’utilité de fa place, pour les progrès de vos
travaux académiques, il n’a voulu la quitter, cette place
qu’il remplilfoit fi bien, qu’après vous avoir défigné»
Meilleurs, celui d’entre yous que yous ayez tous jugé
convenir le mieux (e), & qui joint en effèt à tous les
talens de l’elprit, cette droiture délicate qui va jufqu’au
lcrupule dès qu’il s’agit de remplir lès devoirs. M. de
Mirabaud a joui lui-même de ce bien qu’il nous a fait ;
il a eu la fatisfaclion pendant fes dernières années de voir
les premiers fruits de cet heureux choix. Le grand âge
n’avoit point afFaiflTé l’elprit, il n’avoit altéré ni fes lèns ni
fes facultés intérieures ; les trilles impreflîons du temps ne
s’étoient marquées que par le defsèchement du corps : à
quatre-vingt-fix ans, M. de Mirabaud avoit encore le feu
de la jeunelfe & la sève de l ’âge mûr; une gaieté vive
& douce, une férénité d’ame, une aménité de moeurs
qui faifoient difparoître la vieillelfe, ou ne la laifloient
voir qu’avec cette elpèce d’attendriflèment qui lùppolè
bien plus que du relpeét. Libre de palfions & fans autres
liens que ceux de l’amitié, il étoit plus à lès amis qu’à
lui-même; il a pafle là vie dans une lociété dont il failoit
les délices, lociété douce quoiqu’intime, que la mort
feule a pu difloudre.
Ses ouvrages portent l ’empreinte de Ion caraélëre,
plus un homme elt honnête, & plus fes Ecrits lui ref-
lèmblent. M. de Mirabaud joignoit toujours le lèntiment
à l’efprit, & nous aimons à le lire comme nous aimions
à l’entendre ; mais il avoit fi peu d’attachement pour lès
productions, il craignoit fi fort & le bruit & l ’éclat, qu’il
a làcrifié celles qui pouvoient le plus contribuer à là
' (e) M. Duclos a fuccédé à M. de Mirabaud, dans la place dè
Secrétaire de l ’Académie Françoife,.