ESSAI D 'A R ITHM ÉTIQ U E
M O R A L E . .
L ;
J e n’entreprends point ici de donner des Eflais fur la
Morale en générai ; cela demanderait plus de lumières
que je ne m’en fuppofe, & plus d’art que je ne m’en
reconnois. La première & la plus faine partie de la morale,
elt plutôt une application des maximes de notre divine
religion, qu’une foience humaine ; & je me garderai bien
d’ofer tenter des matières où la loi de Dieu fait nos
principes, & la Foi notre calcul. La reconnoilfance ref-
peétueufe ou plutôt l ’adoration que l ’homme doit à ion
Créateur ; la charité fraternelle, ou plutôt l ’amour qu’il
doit à fon prochain, font des fontimens naturels & des
vertus écrites dans une ame bien faite; tout ce qui émane
de cette fource pure, porte le caraétère de la vérité; la
lumière en elt fi vive que le preftigé de l’erreur ne peut
l ’obfcurcir, l’évidence fi grande qu’elle n’admet ni rai-
fonnement, ni délibération, ni doute, & n’a d’autre
mefitre que la conviétion.
La mefure des chofos incertaines fait ici mon objet,
je vais tâcher de donner quelques règles pour eftimer les
rapports de vraifemblance, les degrés de probabilité, le
poids des témoignages, l’influence des hafards, l ’inconvénient
des rifques ; & juger en même-temps de la valeur
réelle de nos craintes & de nos elpérances.
I I.
I l y a des vérités de differens genres, des certitudes
de differens ordres, des probabilités de differens degrés.
Les vérités qui font purement intellectuelles i comme
celles de la Géométrie fe réduifènt toutes à des vérités
de définition ; il ne s’agit pour réfoudre le problème le
plus difficile que de le bien entendre, & il n’y a dans
le calcul & dans les autres foiences purement fpéculatives,
d’autres difficultés que celles de démêler ce que nous
y avons mis, & de délier les noeuds que l’efprit humain
s’eft fait une étude de nouer & ferrer d’après les définitions
& les fuppofitions qui fervent de fondement
& de.trame à ces foiences. Toutes leurs propofitions
peuvent toujours être démontrées évidemment yi parce
qu’on peut toujours remonter de chacune de ces propofitions
à d’autres propofitions antécédentes qui leur
font identiques, & de celles-ci à d’autres jufqu’aux
définitions. C ’eft par cette raifon que l’évidence, proprement
dite, appartient aux foiences mathématiques &
n appartient qu’a elles; car on doit diffinguer l’évidence:
du raifonnement, de l’évidence qui nous vient par les
fens, c ’eft-à-dire, l’évidence intellectuelle de l’intuition
corporelle; celle-ci n’eft qu’une appréhenfion nette
d objets ou d images, l’autre elt une comparaifon d’idées