Réfléchiffant alors fur la caufe de ma maladie, je vis clairement
qu’elle avoit été caufée par la furabondance & la rétention forcée
de l ’humeur féminale, & voici les réflexions que je fis fur le changement
fubit de mon caraétère & de toutes mes penfées.
i U n e bonne nature & un excellent tempérament, toujours
contredits dans leurs inclinations & refufés à leurs befoins, dirent
s’aigrir & s’indifpofer, d’tiu il arriva que mon caractère, naturellement
porté à la joie & à la gaieté, fe tourna au chagrin & à la triftelfe,
qui couvrirent mon ame d’épaiffes ténèbres, & engourdiffant toutes
fes facultés d’un froid mortel, étouffèrent les germes des talens que
j ’avois fenti pointer dans ma première jeunefle, dont j’ai dû depuis.
retrouver les traces ; mais, hélas ! prefque effacées faute de culture.
2 .0 J ’aurois eu bien plus tôt la maladie différée à l’âge de trente-
deux ans, fi la Nature & mon tempérament n’euffent été fouvent
& comme périodiquement foulagés par l’évacuation de l’humeur
féminale, procurée par l’illufion & les fonges de la nuit; en effet,
ces fortes d’évacuations étaient toujours précédées d’une pefanteur
de corps & d’efprit, d’une triftelfe & d’un abattement qui m’infpi-
roîent une efpèce de fureur, qui approchoit du défefpoir d’Origène,
car j'avois été tenté mille fois de me faire la même opération.
5.° Ayant redoublé mes foins & ma vigilance pour éviter l’unique
foulagement que fe procurait furtivement la Nature , l ’humeur
féminale dut augmenter & s’échauffer, & d’après cette abondance
Si effervefcence, fe porter aux yeux qui font le fiége & les interprètes
des paffioris, fur-tout de l ’amour, comme on le voit dans
les animaux, dont lés yeux, dans l’aéle, deviennent étincelans. L ’humeur
féminale dut produire le même effet dans les miens, &.Ies
parties de feu dont elle était pleine portant vivement contre la
vitre de mes y eu x, durent y exciter un mouvement violent &
rapide, femblable à celui qu’excite la machine éleélrique, d’où il
dut réfuiter le même effet & les objets me paraître enflammés, non
pas tous indifféremment, mais ceux qui avoient rapport avec mes
difppfitions particulières, ceux de qui éraanoient certains corpufcules,
qui, formant une continuité entr’eux & mo i, nous mettaient dans
une efpece de contaél ; d’où il arriva que des trois premières femmes
que je vis toutes trois enfemble, il n’y en eut que deux qui firent
fur moi cette impreflion fingulière, & c’eft parce que la troifième
était enceinte qu elle ne me donna point de defirs, Si que je ne
la vis que telle quelle était.
4" L humeur devenant de jour en jour plus abondante, Si ne
trouvant point d’iffue, par la réfolution confiante où j’étois de garder
la continence, porta tout d’un coup à la tête, & y caufa le délire
fuivi de convulfions.
O n comprendra aifément que cette même humeur trop abondante ,
jointe à une excellente organifation, devoit exalter mon imagination ;
toute ma vie n’avoit été qu’un effort vers la vertu de la chafteté; la
paflron de 1 amour, qui d’après mes difpofitions naturelles auroit dû
fe faire fentir la première, fut la dernière à me conquérir; ce n’eft
pas qu elle n eut formé la première de violentes attaques contre
mon ame; mais mon état, toujours préfent à ma mémoire, faifoit
que je la regardois avec horreur, Si ce ne fut que quand j ’eus
entièrement oublié mon état, & au bout des fix mois que dura
ma maladie, que je me livrai a cette paffion, Si que je ne repouflai-
pas les images qui pouvoient la fatisfaire-
A u re lie , je ne me flatte pas d’avoir donné une idée jufte, ni:
un détail exaét de l ’excès & de la multiplicité des maux & des
douleurs qu’a fouffert en moi la Nature dans le cours de ma mal-
heureufe jeunefle, ni même dans cette dernièrecrife; j en ai rapporté
fidèlement les traits principaux; Si après cette étonnante maladie,
me confidérant m o i-m êm e , je ne vis qu’un trille & infortuné
mortel, honteux & confus de fon état, mis entre fe marteau &
l ’enclume, en oppofition avec les devoirs de Religion & la néceflîté
de Nature ; menacé de maladie s’il refufoit celle-ci, de honte &
d’ignominie s’il abandonnoit celui-là : aflfeufe alternative! aufC
fus-je tenté de maudire le jour qui m’avoit rendu la lumière; plus-
dune fois je m’écriai avec Job : Lux cur data mïfm !